Fidèle à sa lignée éditoriale, le huitième numéro de la revue 6 mois propose à nouveau des reportages denses et de qualité, dont les photographes, les journalistes et leurs sujets, s'étendent à échelle internationale.
Israel, le piège titre cette fois-ci le bi-annuel. Sous forme de triptyques, le dossier principal porte sur un sujet d'actualité intense et controversé, et si l'édito des trois principaux rédacteurs ne se cache ni de la complexité, ni de la délicatesse du sujet: « raconter le monde en image n'est jamais neutre. Au moins peut-on être honnête », la lecture au fil des pages annihile tout a priori sur les éventuels partis pris.
Il est vrai que l'actualité est aujourd'hui un terrain miné : réseaux sociaux, crise de la presse, appropriation des images et des contenus par les internautes...
Au sein d'une société où prendre parti nécessite de prendre des pincettes, où le radicalisme et les extrêmes s'embourbent et s'amplifient dans le grand marécage de l'information 2.0, où la vitesse de circulation et la gigantesque visibilité qu'offre la toile sont parfois trop florissants, nuisibles, il faut faire le choix d'un rythme différent. Le contrepied donc, c'est de prendre son temps. De documenter en douceur, avec humanité et respect. Il faudrait toujours pouvoir nuancer, toujours tenter de voir que les choses ne sont jamais figées, et pour cause...
Lorsque le photographe Oded Balilty s'est immiscé dans le milieux des ultraorthodoxes israéliens, il a simplement voulu constater. Ce constat est d'autant plus fort qu'il est par la suite enrichi d'un texte de l'auteur Etgar Kevet qui, avec une spontanéité déconcertante, déplore la « perte » de sa sœur, devenue ultraorthodoxe après la guerre du Liban, en même temps qu'il témoigne d'un amour infini pour son pays et ses traditions : « Qui a dit que les prières n'étaient jamais exaucées ? » conclu t-il à la fin de sont texte.
© Oded Balilty
Les deux reportages suivants sont autant d'exemples de neutralité; comme s'ils se voulaient dépolitisés, seul l'être humain demeure. L'humain donc, ses désirs et son mode de vie, ses possibilités, ses choix.
Evidemment, le contexte social et politique est omniprésent. Pourtant, le lecteur s'affranchi au fil des pages, il pénètre simplement l'intimité du Tsahal (l'armée Israélienne), ainsi que la balade sauvage de Gedelia et Shira, un couple religieux vivant en Terre Palestinienne avec leurs six enfants.
Plus loin et dans la rubrique « récits », le photographe Jérémy Suyker propose un œil neuf sur Téhéran, en suivant plusieurs Iraniens qui bravent les interdits pour l'amour de la création et de l'intuition. Une jeunesse désireuse de changements en somme.
Outre un Orient stupéfiant, enivrant, il y a aussi l'Afrique de Patrick Willock, son reportage sur les femmes « walés » de la tribus des Pygmées. Entre traditions mystiques et corps sublimés, le photographe raconte le quotidiens de ces mères, qui vivent recluses pendant des années pour élever leurs enfants. De l'accouchement à la cérémonie, une véritable « célébration de la maternité et de la féminité .»
© Patrick Willocq
Il convient également de citer les deux autres reportages de la rubrique: le premier parcours la Pologne et l'Enfance, à travers « Les 400 coups » d' adolescents, amateurs de sensations et de rêves, d'école buissonnière aussi. Nowina Konopka magnifie les banlieues délabrées de Zabrze, et l'imagination, la candeur violente de cinq garçons, dont les jeux sont un reflet sublime de leurs propres vies.
Quand au second, celui de Tim Franco, il questionne le territoire, l'aménagement, la Chine et ses mégapoles dont certaines zones sont en « chantier perpétuels ». Quant à la dernière rubrique « Et encore », elle propose un entretien avec la photographe Marie-Laure de Decker, ancien membre de l'Agence Gamma, et bien d'autres surprises encore, comme la photobiographie du Pape François, ou le surprenant album de famille du photographe Britannique Philip Toledano.
© Konstancja Nowina Konopka
Depuis quatre ans maintenant, 6 Mois demeure fidèle au juste milieu, en sondant un maximum de différents regards et de nouvelles visions. Il semble que, depuis sa création, la revue persiste à creuser en profondeur, à assembler avec une justesse saisissante texte et images, sujets et photographes. Etre moderne oui, sans en oublier l'essentiel.
Charlotte Courtois