Pourtant, l'ouvrage Martin Parr publié par Phaidon explore avec brio son travail, et tente d'aller encore plus loin. Parcours, influences, choix, moment clés, tout est passé au crible par Val Williams.
Dès les premières phrases de l'introduction de l'ouvrage, le lecteur est plongé in medias res au cœur du sujet. Rédigée par Val Williams, écrivain et conservateur de nombreuses grandes expositions, basée à Londres, et co-éditrice du Journal of Photography & Culture, le texte se présente comme complet, presque trop. En effet, les premiers mots de Val Williams sont « Qu'est-ce qui fait un photographe ? Plus précisément, qu'est-ce qui, au début des années 1960, pousse vers la carrière photographique un écolier britannique imprégné d'une culture dans laquelle le photographe n'est pas perçu comme un artiste mais comme un non-conformiste théâtral (Cecil Beaton, John French), un jeune adepte de la mode (David Bailey, Terence Donovan, Helmut Newton), une vieille baderne (les passionnés de clubs photos) ou un fétichiste du glamour (les photographes amateurs) ? » Dès lors, le lecteur comprend qu'il sera entièrement impliqué dans la résolution de cette énigme, celle de Martin Parr. Car au-delà de ses images cocasses et esthétiques se cache certainement un photographe discret, secret. Rares sont les interviews qu'accepte le photographe de Magnum, qui considère souvent que tout est dit, dans son art.
Gourock Lido, Écosse, 2004, extrait de “A8” © Martin Parr/Magnum Photos
Pourtant, l'ouvrage de Val Williams est allé à l'encontre de cette idée, et a cherché à s'engager plus loin, beaucoup plus loin. Découpé en neuf chapitres très complets, son étude est minutieuse, précise, et surtout, passionnante : « Trainspotting : les années d'apprentissage », « Papier peint : les vrais débuts », « Vernaculaire : le Nord, vie et idéaux », « Ordinaire : le documentaire couleur », « La foire aux vanités : de nouvelles aspirations », « Gros plans sur le monde de Parr : consumérisme et globalisation », « Nouveaux horizons : l'art délicat du commissaire d'exposition », « Rendre au monde sa cohérence : collectionner, publier et photographier », « Nouveaux réseaux photographiques : livres, blog et photographie ».
L'auteur ponctue son récit non seulement de photographies prises par Martin Parr, mais aussi d'éléments de réponse explicitant son art. Coupures de presse, images de l'enfance du photographe, vues d'expositions, couvertures d'ouvrages, autant de détails permettant au lecteur de s'imprégner de sa culture, qui a forgé son style.
Martin Parr n'a en effet pas toujours été celui qu'il prétend être. Au départ adepte du noir et blanc et du reportage, il semblerait qu'une multitude d'influences et de styles aient ponctué une carrière qui ne cesse d'être sublimée. L'élément qui marque sa photographie est incontestablement ce regard toujours posé à l'endroit adéquat, le moment clé immortalisé par un artiste qui ne prend pas toujours son monde au sérieux. Puis, délicatement, Martin Parr oscillera vers la photographie couleur, qui correspond, finalement, à un certain changement dans sa vision de la photographie. « Quand Martin et Susie reviennent en Angleterrre en 1982, ils achètent une maison à Wallasey, à Liverpool Bay, à l'extrémité de la grande conurbation formée par Liverpool, Ellesmere Port et, au-delà, Manchester, Salford et Hebden Bridge. (…) A quelques kilomètres à peine se situe New Brighton, la station balnéaire qui est au cœur de l'évolution de Parr vers le documentaire couleur au milieu des années 1980. Il s'éloigne alors de l'appareil photo 35 mm et achète un Plaubel, format moyen à haute définition de marque allemande. Il est désormais fasciné par la nouvelle manière de voir qu'il a observée dans le travail documentaire couleur des photographes américains William Eggleston et Joel Sternfeld, dont les photographies d'objets quotidiens et de gens ordinaires distillent une menace particulière. »
Glastonbury Tor, Somerset, 1976, extrait de “Beauty Spots” © Martin Parr/Magnum Photos
Au fil des quelques 455 pages d'un ouvrage au format copieux mais agréable, Val Williams ira sans cesse plus loin, beaucoup plus loin. Elle tente, le plus clairement possible (il faut noter que l'ouvrage est publié dans une typographie agréable et joue avec des couleurs pastels qui facilitent la lecture) de déjouer les pièges du conformisme qui pourrait être exprimé dans la photographie de Parr. L'idée de l'auteur suit les mouvances de l'art parrien : le chapitre « Nouveaux horizons » débute ainsi par exemple sur une explication claire. « Dans les années 2000, le paysage de la photographie a considérablement évolué depuis l'époque où Parr commençait à s'intéresser aux scènes de la vie quotidienne du nord de l'Angleterre, dans les années 1970. » Tout comme dans le reste de l'ouvrage, Val Williams s'efforcera en effet d'argumenter son propos, et surtout d'expliciter le contexte de l'époque.
Yalta, Russia, 2008, extrait “Autoportrait” © Martin Parr/Magnum Photos
La suite est à découvrir, aux éditions Phaidon.
Claire Mayer
Martin Parr, de Val Williams
Editions Phaidon
Format 25 x 29 cm
516 photos en couleurs, 156 en noir et blanc
79,95 euros