L'oeuvre de Françoise Huguier s'expose du 4 juin au 31 août 2014 à la Maison Européenne de la Photographie, et se lit avec Au doigt et à l'oeil, un autoportrait écrit en collaboration avec Valérie Dereux, et publié aux Éditions Sabine Wespieser.
L'ouvrage retrace chronologiquement la vie riche et mouvementée de Françoise Huguier, comme un véritable roman d'aventures découpé en dix chapitres. De son enlèvement par les Viêt-minh à l'âge de 8 ans, à l'élaboration de l'exposition Bamako photo in Paris en 2013, en passant par ses voyages au Japon, en Afrique, en Sibérie, sa collaboration avec Libération et les photographies de mode, le récit recense et partage avec le lecteur toutes les aventures de la photographe.
Au doigt et à l'oeil s'ouvre sur une citation de l'écrivain Pierre Loti « La forêt, toujours la forêt, et toujours son ombre, son oppression souveraine. On la sent hostile, meurtrière, couvant de la fièvre et de la mort ; à la fin, on voudrait s'en évader, elle emprisonne, elle épouvante ». Ces quelques phrases plongent ainsi in medias res le lecteur au cœur de l'enlèvement de la photographe et de son frère dans la forêt indochinoise, épisode marquant de l'existence de Françoise Huguier.
À sa libération et son retour en France, Françoise Huguier intègre le Couvent des Oiseaux, où naissent rébellion et questionnement chez l'adolescente. Dès lors, elle n'obéit plus qu'à elle même, Au doigt et à l'oeil. À la fin des années 60, Françoise Huguier découvre le cinéma avec les films de Carné, l'amour, l'indépendance, le féminisme et la photographie : « Je m'achète un appareil en me disant que, faute de faire du cinéma, je pourrais peut-être faire de la photographie. Tout en étant très dilettante, et sans avoir une idée claire de ce qu'est le métier de photographe. Je vois ça comme un hobby, et une façon d'accompagner Patrice. Et je me prends au jeu. Et on se fiance ».
Avant d'atteindre une transe photographique lors de son reportage sur les rites de possession de Balla Kanté, elle intègre des laboratoires photos et devient également iconographe. C'est lors d'un voyage avec Patrice qu'elle réalise son premier reportage sur les stèles bogomiles en Croatie. S'ensuivent sa collaboration avec Libération dès 1981, son amour pour l'Afrique, et particulièrement le Mali, à travers Seydou Keïta et Malick Sidibé.
L'ouvrage se clôt sur ses péripéties sibériennes : manger de la viande de rennes cru, photographier les femmes dans les bains publics, le recueillement au cimetière inuit de Novo Chaplino.
L'autoportrait témoigne d'une carrière ponctuée de grandes rencontres (Kurosawa, Christian Lacroix, Mory Kanté etc...) et d'aventures aux quatre coins du monde. Le caractère trempé et libre de Françoise Huguier lui permet toujours de parvenir à ses fins.
Elle revient sans cesse, au fil de l'ouvrage, sur sa conception de la photographie, et sa manière de photographier : « J'essaie d'associer, en noir et blanc, le grain de sa peau et le grain de la pierre, ultime lien entre le vivant et le minéral », « Comme d'habitude quand je fais des photos, je suis insensible à la douleur des autres », « Pour moi, une photo de défilé, c'est un souffle, une respiration » etc...
L'écriture, très simple et d'une précision extrême concernant les évènements du passé suit l'âge et l'expérience de la photographe. Lorsqu'elle relate les épisodes de son enfance, les phrases courtes et saccadées, le style direct, l'emploi du présent ainsi que les anecdotes laissent entendre une petite fille : « Ce sont en fait les chameaux dans la rue qui ressemblent aux monstres de mes cauchemars ». Le lecteur est ainsi entièrement intégré à ce récit drôle, émouvant et sensible, où l'attention est bien souvent portée aux odeurs.
Françoise Huguier offre ici une autobiographie non illustrée mais riche d'images narratives qui ne peut que séduire et passionner le lecteur.
Léa Pietton
Au doigt et à l'oeil de Françoise Huguier et Valérie Dereux
Éditions Sabine Wespieser
Format 18,2 X 14 cm
256 pages
20 euros