Contes des temps modernes ou la misere © Marie-Paule Nègre ordinaire villefranche sur Sao?ne, 1988 © marie-Paule Ne?gre
A 13 ans, elle le sait déjà, elle sera photographe. Quand un journaliste de Paris Match demande à sa famille de prendre la pose dans le cadre d'un reportage sur sa sœur Mireille, à l'époque danseuse à l'Opéra de Paris, Marie-Paule Nègre se dit qu'il se trompe, que « la photographie, ce n'est pas fait pour ça». Membre de la fondation Leica, Cofondatrice de l'agence Métis en 1989, elle reçoit en 1995 le Prix Nièpce récompensant ainsi le témoignage social et les sujets de société abordés dans ses travaux. Rythmée à la manière d'un itinéraire, l'exposition reprend plusieurs grands chapitres thématiques des travaux de la photographe.
« La photographie peut avoir un impact humain et contribuer à éveiller les consciences, agir pour la transformation des rapports sociaux »
Engagée et concernée, Marie-Paule Nègre fait de la photographie un acte social sans jamais « utiliser » ses sujets mais au contraire, dans l'optique de leur redonner la dignité qu'ils méritent. « La photographie est faite pour parler des gens, s'inspirer de ce qu'ils sont. Ce n'est peut-être pas LA vérité mais c'est une vérité que je ressens ». Qu'ils soient des exclus de la société française, des « anciens » ou nouveaux pauvres, des femmes accusées de sorcellerie ou des jeunes filles gavées de force ou excisées, la photographe donne la parole aux anonymes. Le titre de l'exposition « Mine de rien » traduit cette sobriété d'attitude, une manière d'être dans la vie et dans les rapports humains, en photographie aussi. Transmettre des situations pour qu'elle réalise cette promesse : « Montre à ceux du dehors comment on vit ». Epurés de tout pathos, ses travaux sur la pauvreté pour la série Contes des temps modernes ou la misère ordinaire en France (1988-89) était une manière de dire « attention, voilà comment les gens vivent » à une époque où l'on parlait encore très peu des problèmes de précarité. La photographie est une voie pour pouvoir dénoncer et la démarche de l'artiste s'inscrit dans l'espoir que cela puisse faire changer les choses. « J'ai souhaité rendre visible la misère ordinaire, dont la banalisation grandissante finit par voiler l'insupportable constat ». Immergée dans les familles avec qui elle tisse des liens intimes, elle présente en un ensemble les photos couleurs plus récentes des familles en noir et blanc. Un véritable travail d'investigation qu'elle a mené pour retrouver ces familles et les suivre 10,20,30 ans plus tard. « Beaucoup d'enfants se souvenaient. Je voulais aussi voir comment ils avaient évolué. Dans l'ensemble, elles étaient plutôt meilleures, un tout petit peu. Pour ceux que je n'ai pas retrouvé, je me dis que c'est pire et que les familles sont éclatées, qu'ils sont peut-être sdf ».
Contes des temps modernes ou la misère ordinaire Dijon, 1988 © marie-Paule Nègre
« La photographie, c'est aussi prendre le temps de regarder »
En véritable reporter, photographe de l'instant, elle rejette toute mise en scène ou pose. Robert Capa disait que « les photographies sont là, il ne reste plus qu'à les prendre » ; elle, prend aussi le temps de s'inspirer des choses. « Au début il y avait les photos de rue. Je les prenais comme ça, un peu au fil de ma vie. Mais après, ce sont devenus des sujets avec une vraie recherche dans les thèmes. On va volontairement quelque part ».
Le jazz dans tous ses états
« C'était une époque où j'écoutais énormément de musique, j'allais beaucoup dans les concerts donc j'avais envie de voir l'envers du décor ». Dans une approche quasi sociologique, elle s'appuie sur les travaux de William Claxton, James Van Der Zee pour que la voix des musiciens de jazz s'élève. Qualifiés d'« Outsiders» par Howard Becker, Marie-Paule Nègre les suit sur scène, en coulisses, en tournée ou chez eux. « C'était une curiosité. J'ai aussi fait des reportages sur les cosmonautes, c'était extraordinaire ». C'est donc toujours cette même curiosité du monde et des gens qui anime Marie-Paule Nègre, le désir de savoir « qui sont-ils ? et comment ils vivent ? ».
Jazz dans tous ses états Cameron Brown, New York, 1982 © marie-Paule Nègre
A fleur de l'eau
« L'eau, c'est le rire, les plaisirs innocents, la spontanéité. On s'esclaffe, on s'éclabousse, on chahute ». Sur terre mais aussi sous l'eau, la photographe est dans son élément pour retranscrire les sensations du corps et les lumières qui s'en émanent. « J'ai beaucoup d'affection à être sous l'eau donc tout naturellement j'ai apporté l'appareil et je me suis rendue compte qu'il y avait plein de choses à faire. Sous l'eau on regarde forcément et on voit qu'il y a des choses à photographier. En dessous, personne ne pense que vous avez un appareil photo et c'est d'une discrétion absolument totale ». Marie-Paule s'est aussi immergée, au sens propre comme au figuré, dans des groupes d'aquaphobes qu'elle a suivi le temps de leur guérison « une fois de plus, beaucoup d'histoires humaines ».
hôtel gellert, Budapest, hongrie, 1994 © marie-Paule Nègre
Des artistes en leur monde
Après les anonymes, elle s'intéresse également aux artistes. D'abord publiée dans La Gazette de L'hôtel Drouot, puis déjà exposée à la MEP en 2008, sa série sur les artistes dans leur atelier est un travail sur la durée qui s'est fait au fil du temps depuis dix ans. « Avec les peintres, j'ai essayé de trouver un rapport entre leur œuvre et eux-mêmes. Leur façon d'agir ». De nouveaux portraits viendront s'ajouter par la suite à ce projet.
Capucine Michelet
Exposition présentée jusqu'au 31 août 2014
Maison Européenne de la Photographie.
5/7 Rue de Fourcy - 75004 Paris
Ouvert au public du mercredi au dimanche, de 11h à 19h45. Entrée gratuite tous les mercredi de 17h à 20h.