K-POP, Kuala Lumpur, Malaisie, 2013 © Françoise Huguier / Agence VU'
La photographie de Françoise Huguier ne fait pas partie de celles que l'on range dans de petits compartiments bien agencés, comme le prouve avec brio l'exposition que lui consacre la Maison européenne de la photographie.
Pince-moi je rêve porte merveilleusement bien son nom, un mélange d'images tout autant éclectiques qu'inouïes, parfois.
Thierry Mugler, HC, collection automne-hiver 1998, juillet 1998 © Françoise Huguier / Agence VU'
Née en 1948, Françoise Huguier grandit en Indochine, où ses parents ont une plantation d’hévéas. A l'âge de 8 ans, elle est enlevée pendant huit mois avec son frère Patrick alors âgé de 12 ans, par des indépendantistes cambodgiens, les Issarak, lors d'une fête de côlons dans une plantation voisine. Cette terrible épreuve dans la vie de ces jeunes enfants marqueront leur existence, et ce n'est que longtemps plus tard que Françoise Huguier brisera la loi du silence en décidant de parler de cet événement. Ainsi, la salle qui ouvre l'exposition de la Maison européenne de la photographie est dédiée à cet enlèvement. Surpris, le public découvre ainsi les circonstances de l'incident, dans les moindres détails. Françoise Huguier s'en explique « Pendant longtemps, je n'avais pas envie d'en parler, et là j'ai envie de le faire, mes parents sont morts, mon frère et moi commençons à vieillir, donc c'est bien de le dire aussi. On perd la mémoire de l'histoire de France. On parle de la guerre du Vietnam, mais la guerre d'Indochine, c'est complètement oublié. La colonisation fait partie de l'histoire de France, donc c'est ce rôle là aussi, c'est important. » De la lettre écrite sous la pression des ravisseurs par Patrick à leurs parents pendant leur captivité, aux vêtements de l'époque de celui-ci encore tâchés de sang, de nombreux détails sont délivrés aux curieux, leur permettant de comprendre les faits et le contexte de l'époque.
Ainsi, si Pince-moi je rêve intrigue et intéresse très vite le spectateur dès son arrivée, la suite de l'exposition ne manquera pas de tenir ses promesses. L'étage supérieur de la MEP qui est consacré à Françoise Huguier regroupe les photographies des terres qu'elle a foulé et immortalisé, ainsi qu'une sélection d'objets rapportés de ces péripéties.
Les appartements communautaires. Nus dans la cuisine, Saint Pétersbourg, Russie, 2005 © Françoise Huguier / Agence VU'
Piscine, Tokyo, Japon, 1980 © Françoise Huguier / Agence VU'
L'Afrique, la Malaisie, l'Indonésie, la Sibérie, la Russie, le Cambodge, le Japon ou encore les défilés de mode sont autant de terrains d'exploration de l'artiste, qui les a immortalisé avec ferveur. Mais lorsqu'on lui demande si, de tous ces endroits, l'un d'eux lui a laissé un souvenir impérissable, c'est sans hésiter qu'elle confie « la Sibérie. J'y ai passé 6 mois, en Sibérie polaire. C'est le plus beau voyage que j'ai fait, extraordinaire, surréaliste, incroyable à une période où tout était encore possible. C’était un voyage de l'extrême, mais un voyage formidable. C'est le voyage de toutes les folies, j'ai même fait du stop en brise-glace !
Même la traversée de l'Afrique, ça n'a pas été ça. Aujourd'hui, on connaît plus de choses sur la Russie. D'ailleurs, la traversée de l'Afrique, le nord du Nigéria, le nord du Cameroun, je ne pourrai plus le faire aujourd'hui avec Boko Haram, alors qu'à l'époque, nous l'avons fait en voiture sans problème. Le nord du Mali, la traversée du Sahara, je ne pourrai plus non plus. C'était aussi une époque bénie.
Pêcherie, Noviport, presqu'île de Iamal, Sibérie, 1992 © Françoise Huguier / Agence VU'
Ce voyage a été extraordinaire. J'habitais dans les familles. Il n'y avait pas d'hôtels, pas de routes, j'ai tout fait à pied, en camion, en avions cargos, il n'y avait pas de trains.
A mon retour, j'ai fait un livre qui s'appelle En route pour Behring aux éditions Maeght. J'y ai publié mon carnet de voyage au jour le jour. »
Passionnée, franche et entière, Françoise Huguier parvient, avec Pince-moi je rêve, à captiver un public conquis, fasciné par un univers photographique atypique.
Claire Mayer
Françoise Huguier Pince-moi, je rêve
Maison européenne de la photographie
5/7 Rue de Fourcy - 75004 Paris
Jusqu'au 31 août 2014
Ouvert au public du mercredi au dimanche, de 11h à 19h45.
Fermé lundi, mardi, jours fériés
Gratuit tous les mercredi de 17h à 20h.