War Zone C, 1966. Le corps d’un soldat américain mort au combat près de la frontière cambodgienne est hélitreuillé par un hélicoptère d’évacuation. © AP / Sipa Press
« Homme d'une seule guerre, celle du Viêtnam », telle est la description d'Henri Huet selon Hélène Gédouin, qui préface le dernier volume de la collection Photopoche consacré au photographe. L'ouvrage regroupe ainsi uniquement des clichés relatifs au conflit vietnamien, ces derniers ayant eut un très fort retentissement. Selon son ami Hort Faas, également photoreporter, ils « ont changé la façon dont l'Amérique voyait la guerre et eurent plus d'impact que les millions de mots qui emplissaient les journaux ».
Comment expliquer l'immense portée de ces photographies ?
Grâce à la longue préface qui ouvre l'ouvrage, le lecteur apprend que le Viêtnam est un terrain connu du photographe. Né à Dalat, au sud du Vietnam, d'un père français travaillant pour le gouvernement indochinois et d'une mère vietnamienne, il est envoyé en France par son père en 1933 avec ses deux frères, afin qu'ils soient élevés par leur proche famille en Ile-et-Vilaine. Après le cours complémentaire, Henri Huet s'inscrit aux Beaux-arts de Rennes. Mais, voulant retrouver son père, il s'engage dans la marine française en 1949. En 1950, il passe son brevet de photographe d'aéronavale puis exerce la fonction de photographe. Il est ensuite envoyé au Vietnam, sur la base militaire de Cat Lai, où il dirige le labo photo. Il quitte l'aéronavale en 1952 pour rejoindre l'USOM (United States Overseas Mission) en tant que photographe de presse. L'année 1963 marque le début de sa carrière internationale de journaliste, avec la parution de ses clichés dans Paris Match.
Son engagement de reporter au Vietnam commence en 1964, alors embauché par l'agence américaine United Press International, qu'il quittera ensuite pour rejoindre Associated Press.
En ouvrant l'ouvrage, le lecteur découvre, à la suite d'un portrait du photographe, un cliché assez dérangeant. Il montre Dickey Chapelle, correspondante au National Observer, allongée sur le sol, le visage couvert de sang, à qui un aumônier donne l'extrême-onction. En ne connaissant pas l'histoire de cette photographie, le lecteur pourrait ressentir un certain malaise devant ce corps sans vie, photographié à seulement quelques mètres de distance. Mais, loin de tout voyeurisme, cette image traduit plutôt la profonde compassion du photographe. Un correspondant d'Associated Press, George Esper dira que « photographier son amie mortellement blessée aura été l’une des missions les plus difficiles remplies par Henri » (1).
La force de l'ouvrage est de faire partager au lecteur l'irréductible volonté qui conduit le photographe à relayer sans relâche l'information, telle qu'elle lui apparaît. En feuilletant le Photopoche, apparaît la photo d'un prisonnier « vietcong » sous la garde de soldats sud-vietnamiens (soutenus par les forces américaines). Le visage, empli d'effroi, du prisonnier, soulève la délicate question de l'objectivité en photojournalisme.
À 400 kilomètres environ au nord-est de Saigon, décembre 1965. Prisonnier viêt-công sous la garde de soldats sud-vietnamiens. © AP / Sipa Press
A première vue, le lecteur pourrait croire qu'Henri Huet se place du côté des forces combattant la République du Vietnam, alliée des Etats-Unis. En vérité, le photographe choisit de ne pas prendre parti. Il souhaite montrer toute la complexité des rapports entre les deux forces armées, comme le montrent certaines photographies publiées dans Henri Huet : J'étais photographe de guerre au Viêtnam d'Horst Faas et Hélène Guédoin. Le lecteur peut y voir par exemple un médecin militaire américain soignant un soldat nord-vietnamien prisonnier, et, quelques pages plus loin, un soldat américain brutalisant un prisonnier pendant une interrogation.
L'objectivité est ainsi l'un des mots d'ordre de l'agence Associated Press, qui n'est pas « un vecteur au service de l’intérêt national » selon son dirigeant Wes Gallagher (3). La connaissance du pays permet aussi à Henri Huet d'être indépendant. A la différence des autres photographes, il sait où trouver les chemins discrets et arrive parfois avant les forces américaines. Il évacue également toute notion d'exotisme. De plus, Henri Huet sait « se placer à la bonne distance », ce qui lui permet de « prendre des risques tout en sachant où et quand s'arrêter ». Il n'utilise pas de téléobjectif mais seulement un 35mm, qui le conduit à « être au plus près du sujet ».
Ses photographies, effectuées au plus près du sujet, lui valurent la Robert Capa Gold Medal en 1977. Le lecteur peut ainsi découvrir les clichés de la bataille d'An Thi qui furent récompensées par ce prix. Henri Huet a néanmoins bien conscience du danger que son travail de reporter implique. Il écrira à sa sœur Jeanne le 29 mars 1965 : « les Viêt-minh ne regardent pas si vous êtes de la presse ou non, combien de fois m’est-il arrivé de piquer un cent mètres avec les balles qui me sifflaient aux oreilles ».
Au fil des pages apparaît un reporter collant « à l'image mythique du photographe de presse, dédié à son métier jusqu'à y perdre la vie ». Mais Henri Huet est aussi « incroyablement consciencieux » selon Dirk Halstead qui l'embaucha à l'United Press International. Ce dernier raconte qu'un jour, il est arrivé au bureau en saignant, car il avait été blessé dans une opération, mais « voulait livrer ses films avant d’aller à l’hôpital ». Pour Henri Huet, rendre compte de la guerre au jour le jour est plus qu'un engagement, c'est un devoir. Celui d'« accompagner ceux qui n'ont pas le choix et doivent combattre » et de « saisir leur courage et leur détresse ».
Ce « devoir » donne naissance à une relation de confiance avec les soldats, comme en témoigne le portrait sans concession de ce marine américain, photographié après un combat de trois jours.
Sud de la zone démilitarisée, 1966. Un marine américain, photographié après un combat de trois jours. © AP / Sipa Press
Si Henri Huet est proche des soldats, il sait aussi « témoigner de ce qui disparaît sous ses yeux » : les exodes des populations civiles et les destructions des récoltes. Il partage ses moments de vie au contacts des réfugiés. Défilent sous les yeux du lecteur un enfant jouant avec un ballon, une femme priant dans la cour d'une pagode, ou encore un adolescent tirant sur une cigarette américaine.
Bông Son, octobre 1966. Une mère et ses enfants encadrés par les jambes d’un soldat américain. © AP / Sipa Press
Enfin, grâce sa formation aux Beaux-arts, la composition de ses photographies est impeccablement maîtrisée.
Ainsi, selon le reporter Jacques Danois, « Henri parlait des choses simples, jamais il n’essayait de bluffer en jouant les intellos du reportage. Henri, c’était des yeux qui savaient passer les limites de l’optique. Henri Huet pouvait photographier les sentiments humains » (2).
Le lecteur pourra apprécier la qualité d'impression de l'ouvrage, qui rend compte de l'attention portée au tirage par le photographe. Le choix chronologique permet une vision claire des enjeux de la guerre, aidée par une présentation aérée.
Henri Huet
Editions Actes Sud – Collection Photo Poche
Format 12,5x19 /
63 photographies noir et blanc reproduites en duotone
13 euros
Juliette Chartier
(1) Henri Huet : « J'étais photographe de guerre au Viêtnam » - Horst Faas, Hélène Guédouin, éditions du Chêne, 2006
(2) Ibid