© Chrisopher Anderson / Kehrer
Ce livre pourrait être pris pour un album de famille. Le titre, « Son » (« Fils »), en annonce la couleur. Christopher Anderson, photographe chez Magnum, photojournaliste reconnu, est devenu père en 2008, et choisit de faire de cet événement la pierre angulaire de son nouveau livre. Mais l'observateur ne saurait réduire cet ouvrage à une telle vision. Certes intime et familial, il est en réalité bien plus universel que la première impression pourrait laisser croire.
Tout d'abord, la mise en scène n'est pas abandonnée au profit de l’instantané. Le monde de la petite enfance croise l'intimité du couple, avec des images rassurantes où se ressent la complicité du photographe avec ses proches. La mère et l'enfant sont ensemble, ils prennent un bain, ou bien observent les contours d'une ville derrière une grande fenêtre. Les vitres laissent toujours entrer une lumière douce, feutrée, parfois orangée. Des portraits se répondent parfois. La jeune femme dans la cuisine, devant un bouquet d'oeillets rouges, semble faire écho à l'image d'en face, où le petit garçon entoure de ses mains un vase rempli de fleurs. Sur cette dernière photographie, le petit garçon est comme concentré dans sa contemplation, et une raie de lumière projette un halo doré sur son corps et son visage.
Certains clichés semblent imprégnés de solitude, de nostalgie. Un parc, habituellement rempli de cris d'enfants, est ici représenté par les ombres géométriques d'un toboggan désert, ou encore par deux bancs gris et vides. Des jouets sur le sol, comme abandonnés dans un reflet sur le sol brillant, amplifient ce sentiment d'un bonheur présent, mais éphémère et fragile. L'urbain est inscrit dans les gènes du livre. De grands immeubles dépassent le petit garçon qui les regarde, derrière une grande baie vitrée. Plus loin, une photographie aux tons gris emmènent le spectateur au cœur de l'hiver, sous une pluie de neige.
© Christopher Anderson
© Christopher Anderson
Plusieurs âges de la vie font échos aux saisons, qui rythment l'année naturellement. Outre ces bouquets de fleurs qui décorent l'intérieur du couple, un cerisier en fleurs envahit une page de rose et de bleu. Dans la vitre d'une porte se reflète un jardin aux couleurs chatoyantes.
Le père est le grand absent de ces photo. Il est l'artiste, celui qui dévoile avec acuité la beauté inhérente à ces scènes singulières. Le grand-père, tel un passeur entre les générations, fait également partie de la fresque familiale. Son torse fripé, ou bien son dos vouté, ne sont pas là pour apitoyer, car le regard posé est affectueux, tendre. Il fait la sieste, marche sur une route où sont également présents la femme et l'enfant. La simplicité est éloquente, et l'intensité du lien familial montrée de manière touchante.
© Christopher Anderson
© Christopher Anderson
Le papier est dur, épais. Les images sont rectangulaires, au milieu d'une page blanche. Sauf pour la première de couverture, qui se retrouve sur une pleine page à l'intérieur du livre. Presque à chaque fois, une page est laissée vide, permettant au regard de rester concentré sur une seule image à la fois. De ne pas le laisser se perdre dans un trop plein de décor ou de personnages. La chronologie n'est pas respectée, à l'inverse d'un album de famille. Pas de légende pour indiquer la date, le lieu, ou le nom des personnes figurant sur l'image. Une intrigue simple, souple, qui se dessine et qu'il est possible d'ajuster au gré de son imagination.
L'histoire de Christopher Anderson est pleine d'amour. Sa compagne apparaît à plusieurs reprises, parfois seule. Elle se réveille entre des draps froissés, le regard encore ensommeillé. Ailleurs, ce sont ses jambes nues qui dépassent au bout du lit, ou bien son portrait dans la salle de bain, une tétine entre les dents. Comme il l'écrit à la fin du livre, ces photographies sont « des déclarations d'amour». Un témoignage touchant, vrai, sincère. Des insertions magnifiques de paysages urbains ou de nature (plantes, arbres) viennent compléter ce tableau déjà dense en émotion.
La toute dernière image représente la jeune femme seins nus, avec les jambes dans l'eau, sur un fond très sombre. Le petit garçon est debout à côté d'elle, les mains posées sur son épaule. Cette photographie est chargée de sens : posture du don se soi, symbole du lien maternel, mais aussi éloge de la beauté du corps féminin.
© Christopher Anderson
© Christopher Anderson
Cet ouvrage sensible évoque avec finesse la douceur de la maternité, la force du lien familial, le besoin de vivre ensemble. La famille est une bulle, un cocon protecteur, mais dans laquelle l'autre est le bienvenu. Le lecteur ne se sent ni voyeur ni intrus, simplement l'invité privilégié d'un photographe (très) talentueux.
Adèle Binaisse
Son, Christopher Anderson
Editions Kehrer
20 x 24,5 cm
96 pages
39,90 €