© Christophe Calais/Signatures
Vingt ans après le génocide rwandais, l'ouvrage retrace l’histoire d’un jeune garçon surnommé Angelo, retrouvé par la Légion étrangère dans une fosse pendant l’épidémie de choléra à Goma. Le photographe Christophe Calais a suivi l’enfant dans son quotidien, et a réalisé des clichés de 1994 à aujourd’hui : de son entrée à l’école à sa vie de jeune adulte. Dans ce livre bilingue français-kinyarwand, les images, fortes et pleine d’espérance, relatent un passé sombre. Partagé entre la mémoire et l’oubli, le Rwanda reste engagé dans un avenir d’espoir et d’entraide. Ce livre retrace la tragédie complexe vécue par le Rwanda, depuis le génocide de 1994.
En 1992, Christophe Calais rejoint VSD et consacre la majeure partie de son travail au Rwanda. Il publie deux livres sur le génocide des Tutsi et ses séquelles : Le Cri des morts, le silence des vivants aux éditions BBK en 1999 et Rwanda, le pays hanté, aux éditions du Chêne en 2006. A la suite de cette publication, il participe à l'exposition collective Pour une photographie engagée à la Bibliothèque Nationale de France. Dans son dernier ouvrage Un destin rwandais, Christophe Calais prend des clichés d’Angelo, un enfant de 7 ans retrouvé au milieu des corps étalés dans la fosse commune. Le photoreporter se voit confier d’une mission : couvrir l’arrivée des troupes françaises dans le cadre de l’opération militaro-humanitaire « Turquoise ». Il se rend au Zaïre en juillet 1994 : une épidémie de choléra avait éclaté parmi les réfugiés Hutu ayant fui le Rwanda devant l’avancée militaire du FPR (Front patriotique rwandais). Nathan Réra, historien de l’art contemporain accompagne par écrit les photos de Christophe Calais, tel un perpétuel dialogue.
© Christophe Calais/Signatures
L'attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, marque le début du génocide contre les Tutsi. Cet acte de barbarie est le produit d’une idéologie raciste érigée en politique par un État qui a organisé les massacres de la minorité Tutsi, éliminée en une centaine de jours par leurs voisins, collègues et parfois amis Hutu. Toutefois, le peuple Tutsi aurait subi cinq génocides dès 1959, mais le seul reconnu par l’ONU est celui de 1994. En novembre 1959, le Rwanda est sous tutelle belge depuis 1922, et la « révolution sociale » menée par les paysans Hutu contre la minorité dominante Tutsi débute. Des milliers de Tutsi sont chassés vers les pays voisins : l’Ouganda, le Burundi, le Zaïre et la Tanzanie.
Le 7 avril 1994, des barrages sont établis à Kigali, c’est le début d’un exode. Les habitants en danger fuient le Rwanda en direction du Zaïre. Le photographe suit ces évènements, mais surtout le jeune enfant rescapé, Angelo. Celui-ci se souvient très bien de cette période : « Je me souviens que les hutus, ceux de mon ethnie, tuaient des tutsis et qu’ils les jetaient dans la rivière ».
Pris en étau dans la guerre civile qui éclate au Zaïre en 1996, des millions de réfugiés Hutu retournent au Rwanda et Christophe Calais retrouve Angelo et son père : il décide de les accompagner. Parmi les photos d’Angelo, celles où il retrouve son père montre le réel soulagement de l’enfant qui croyait être orphelin. Seulement l’année suivante, Léonard, le père d’Angelo est accusé d’avoir participé au génocide, et est emprisonné à Kigali.
© Christophe Calais/Signatures
Christophe Calais documente un récit de manière photographique, et, avec l’aide de Nathan Réra, retranscrit l’histoire d’une orgie barbare, laissant au peuple une plaie inguérissable. Le photographe garde en mémoire les visions et les odeurs de cette guerre. « Le Rwanda a profondément bouleversé ma manière de voir, j’y ai acquis progressivement un point de vue. J’ai arrêté de photographier ce que je voyais pour photographier ce que je ressentais », explique-t-il.
Dans un format à l'origine du film photo 24x36 cm, le photojournaliste mélange les clichés du quotidien d’Angelo. Les images ordonnées de façon décousue décrivent des moments difficiles, des atrocités humaines, mais reflètent aussi l’espoir d’un peuple, notamment avec les retrouvailles d’un père et de son fils. En capturant des regards intérieurs, Christophe Calais construit des images introspectives, et se pose la question : « comment photographier ? ». Comment photographier des cadavres, des victimes du génocide ? Il défend le double pouvoir de cette technique : « produire des documents et créer des œuvres d’art visuelles. »
Dans un devoir de mémoire et de justice, il faut « changer l’opinion, faire bouger les mentalités, réveiller les consciences engourdies ».
Un destin rwandais retrace la vie du jeune Angelo, qui met une heure pour se rendre à l’école, vote pour la première fois à l’âge de 24 ans, s’occupe de sa famille et construit sa propre maison. Par ailleurs, cette œuvre met aussi en avant « une question sans réponse » : La justice a-t-elle apaisé définitivement les antagonismes et les douleurs ? Peut-on parler de réconciliation de la société rwandaise ?
Le vingtième anniversaire du génocide, placé sous le thème « Souvenir, unité, renouveau », durera cent jours pour faire écho à la centaine de jours qui a suffi à exterminer 800 000 personnes, issues de la minorité Tutsi, entre le 7 avril et le 4 juillet 1994. Les commémorations « sont un temps pour se souvenir des vies perdues, faire preuve de solidarité avec les survivants et nous unir afin que cela n'arrive plus jamais, au Rwanda ou ailleurs ». Aujourd’hui le pays a soif d’avenir et de prospérité.
Nathalie Keosouvanh
Un destin rwandais, Christophe Calais
Textes : Nathan Réra
Editions Neus
24 x 36 cm
200 pages
36 euros