© Flammarion / Centre Pompidou-Metz
Le catalogue de l'exposition du Centre Pompidou-Metz, qui se tient du 26 février au 9 juin, est un lourd volume rouge aux allures de dictionnaire. Il retrace l'Histoire de cette pratique particulière qui consiste à photographier des personnalités à leur insu. Le terme est inventé en 1960 par Frederico Fellini dans son film La Dolce Vita. Il est l'alliance de « pappataci » (petits moustiques) et de « ragazzi » (jeunes garçons).
L'ouvrage est une co-production Flammarion / Centre Pompidou Metz, sous la direction de Clément Chéroux, conservateur de la photographie au Centre Pompidou de Paris depuis 2007. Divisé en trois parties, « Photographes », « Stars » et « Artistes », le livre propose un dosage intelligent entre images, interviews et textes de différents chercheurs.
Anonyme, (Agence Pierluigi), Anita Ekberg à la sortie de l’avion, 1959 © Collection Michel Giniès
Des paparazzis célèbres reviennent sur leurs souvenirs, ou encore sur les attaques envers leur métier. Ainsi, le lecteur apprend que la meilleure photo de Ron Gallela est un portrait de Jackie Kennedy sortant de chez elle, les cheveux au vent (Windblown Jackie). Ce dernier a un avis tranché concernant la polémique qui accuse ces photographes de violer l'intimité de leurs modèles, puisqu'il considère que « si les célébrités veulent de l'intimité, elles n'ont qu'à rester chez elles ». Dans cette même interview, Sébastien Valiela explique que les magazines people offrent « une petite parenthèse, qui permet aux gens de s'évader » tandis que Daniel Angeli considère que ce métier n'a aujourd'hui plus aucun intérêt, qu'il a perdu la « difficulté » qu'il représentait à l'époque où les journaux étaient moins nombreux et où le numérique n'existait pas. Il fallait alors maitriser la technique pour pouvoir photographier.
Jackie Onassis et Ron Galella sur Madison Avenue, New York, 7 octobre 1971 © Ron Galella, Ltd/Courtesy A. galerie
La seconde partie est consacrée aux images les plus célèbres de stars, telles que Brigitte Bardot, Jackie Kennedy, Elizabeth Taylor, ou plus récemment Paris Hilton et Britney Spears.
Certaines sont plutôt amusantes et illustrent parfaitement le jeu entre ces paparazzi et les stars, comme les doigts d'honneur de Mick Jagger ou la langue impertinente de Kate Moss. En revanche, d'autres soulèvent des questions d'éthique et sont bien plus choquantes : Britney sans culotte sortant de sa voiture, ou Jackie Kennedy entièrement nue dans son jardin. Un article d'André Rouillé, historien de la photographie, rappelle des évènements qui ont desservi le métier dans les années 90. A la mort de la princesse Diana, en 1997, les paparazzis sont violemment critiqués, et l'opinion prend conscience que le reportage d'information décline au profit de la presse à scandale.
© Bruno Mouron, Kate Moss lors de la Fashion Week, Paris, 1992
© Alison Jackson, Diana Finger-Up, 2000
La dernière partie porte sur l'appropriation de cette pratique par l'art. L'écrivain et peintre François-Marie Banier joue avec l'esthétique de la photographie volée, utilisant ses codes (flou, mise à distance...) pour photographier des célébrités, comme Salvador Dali, François Mitterrand ou encore Marcello Mastroianni. Sa série sur Samuel Beckett en 1989, en noir et blanc, est constituée de plusieurs photographies de l'écrivain de dos, dans des poses banales sur un banc ou marchant dans la rue.
Dans la même veine, Cindy Sherman se met en scène dans sa série « Untitled Film Stills », 69 photos qui reprennent les topos de la culture populaire et qui s'inspirent d'images pré existantes. Sophie Calle, en 1981, va jusqu'à demander à sa mère d'engager un détective privé pour la suivre dans ses moindres déplacements. Le fruit de son travail sera le socle de l'installation La Filature, un témoignage de la « trivialité que revêt parfois l'esthétique paparazzi ». Cette entrée du paparazzi dans l'art s'est aussi illustrée par l'expérience singulière de Pascal Rostain et Bruno Mouron qui ont fouillé les poubelles de stars comme Madonna ou Jeffs Koon. Ils ont photographié les déchets, ordonnés sur un fond noir, avec une chambre grand format. Certaines de ces œuvres sont en ce moment exposées à la Maison européenne de la photographie.
© Cindy Sherman, Untitled Film Still, 1980
© Pascal Rostain et Bruno Mouron, Madonna 2, Mars 1990
Le lecteur aura la chance de revoir les pages de couvertures cultes de la presse à scandale. Et d'apprendre dans le même temps que la loi protège, depuis 1985, toute œuvre qui serait « empreinte de la personnalité de son auteur ». Ainsi, la photographie d'un paparazzi sera protégée par le droit d'auteur dès lors qu'elle possède une touche originale. Mais la loi condamne également la violation de la vie privée. Et si « la liberté a les limites que lui impose la justice » (Jules Renard), les questions que soulèvent cette exposition sont ambiguës. Dans quelle mesure ces voleurs d'images sont des hors-la-loi ? Comment définir l'originalité d'une photographie ? Leur consacrer une exposition est-il une preuve de leur légitimité ou au contraire une manière de montrer les revers et les travers du métier ?
« Paparazzis ! » est à la fois un livre d'histoire, de sociologie et de photographie. Il permet d'enrichir les connaissances du lecteur concernant cette histoire centenaire de la presse illustrée, et de cette pratique qui dérange tout autant qu'elle séduit.
Adèle Binaisse
Paparazzis !, sous la direction de Clément Chéroux
Co-édition Flammarion - Centre Pompidou Metz
220 × 240
320 pages
45 €