© Naoya Hatakeyama
Le 11 Mars 2011, la côte pacifique du Tohuku est détruite par un violent séisme, qui déclenche un tsunami ravageant plus de 600 kilomètres de côtes.
Loin de la violence du cataclysme, le dernier livre de Naoya Hatakeyama est triste, paisible, chaleureux. Il est un témoignage humain et désarmant.
Kensengawa n'est autre qu'un retour sur les lieux, une confrontation à la mémoire, au temps qui passe et à une réalité impalpable.
© Naoya Hatakeyama
Dans la postface, Naoya Hatakeyma confie que les photographies des premières pages sont celles d'avant la catastrophe. Un contraste peu étonnant lorsque, au fil du livre, les images attendent sagement, pales, fraîches, vertes et bleues, comme en mouvement.
La première moité du livre est aussi le récit de l'auteur à la première personne: « Il est un train de se passer quelque chose. Pas ici, quelque part, loin, dans ce lieu familier, quelque chose d'énorme est en train de se produire. Ce qui arrive, je ne peux pas le voir de l'endroit où je suis maintenant (…) La seule solution est d'aller moi même jusqu'à l'endroit pour voir ce qui se passe. Mais le déplacement c'est du temps. Il m'en faudra pour attendre ce lieu. »
La structure reste la même pendant la première moitié du livre, sur la page de gauche le texte, à droite une photographie.
Pendant les premiers jours de sa route jusqu'à Rikuzentakata, le photographe se nourrit d'images fictives en mouvement : il imagine, d'après les informations données par sa sœur au téléphone, sa mère et ses deux sœurs, réunies, agenouillés sur le sol dur du gymnase dans une étreinte.
Alors qu'un coup de téléphone lui apprend le décès de l'une d'entre elle, l'image s'effondre, les informations n'étaient qu'une possibilité du réel, alors elles s'évanouissent en même temps que l'espoir.
© Naoya Hatakeyama
La première partie de l'ouvrage est donc le temps du récit, du souvenir, et d'images nourries par le passé qui tentent d'envisager, d'appréhender un futur.
Ce temps nécessaire est aussi celui du récit pour le lecteur, celui où il découvre petit à petit la situation, au présent à travers des mots terriblement humbles, sobres.
Jusque là donc, les images représentent « un petit coin du monde », un lieu de mémoire individuelle, que l'auteur a jusqu'alors désiré garder pour lui. Car Naoya a voulu éviter la confrontation avec la subjectivité de la représentation, pour préserver ce sentiment de contrôle et d'intelligence de ses propres images, qui s'envolent dès lors que les points de vue, la sensibilité et l’expérience de chacun diffèrent.
© Naoya Hatakeyama
Alors que la trame narrative s'achève à travers la quête révélée (une personne décédée), le format et le contenu des photographies changent : le calme vient se substituer au désastre, les photographies transportent un amas de matière et de couleurs, dispersées au hasard sur le sol blême.
Le désastre se présente comme des morceaux de bois, des carcasses de voitures, un paysage immobile dont les éléments paraissent disposés au hasard, caressés par une lumière bienveillante qui semble s'accorder à merveille à chacun des regards que l'auteur a posé sur la catastrophe.
C'est bien le beau qui se dégage de l'horreur, les entassements informes et dérangeants, qui s'avèrent esthétiquement à la hauteur du drame : redoutables.
© Naoya Hatakeyama
Représentation d'un lieu que le temps a marqué, la photographie a d'abord été le lieu de la mémoire.
Naoya Hatakeyama a su dépasser la simple représentation du réel, et l'appréhension individuelle de l'image liée à l’expérience. Kesengawa est l'incarnation d'un lieu de retrouvailles universelles, celui de la représentation entre réalité et fiction, où chacun peut entrevoir une vision commune des évènements. C'est comme si chaque chose sur terre était nature morte, comme si la couleur et le mouvement étaient simples possibilités, une fiction en soi où chacun entrevoit son propre monde et sa réalité invisible. Représenter l'invisible, l'indicible. Voilà donc la force si particulière de Kesengawa.
© Naoya Hatakeyama
Chalotte Courtois
Kensengawa de Naoya Hatakeyama
Edition Light Motiv
Format 30,2 x 18,8
136 pages
35 euros