© Filigranes Editions
« En pénétrant dans des couvents colombiens, Françoise Huguier invente un reportage qui à sa façon en dit long sur l'état actuel de la Colombie » écrit Gérard Lefort dans son court texte, « Et ta sœur ». Il introduit ainsi les photographies de Françoise Huguier, dans son ouvrage Les Nonnes.
Visitant une vingtaine de congrégations dans les trois plus grandes villes de Colombie, Françoise Huguier propose au lecteur une compilation de portraits dans un petit format (9,4 cm par 14,1 cm de hauteur) qui rappelle celui du livre de messe, une impression amplifiée par sa couverture rouge et or.
Les Nonnes colombiennes sont immortalisées aux côtés de statues christiques, de tableaux ou de mosaïques colorées. Ces modèles de sainteté, priant les yeux baissés ou en admiration devant des figures bibliques, sont métissés à l'image de ce pays d'Amérique du Sud.L'histoire de la Colombie est marquée par la colonisation espagnole, puisque les Conquistadores, après la découverte du continent par Christophe Colomb, mettent en place au début du XIVème siècle l'encomienda qui ne fut abolie qu'en 1971. Le but est double : évangélisation et réduction des indigènes à l'état de semi-esclavage, à qui l'on confisque terres et richesses. Au XVIème et XVIIème siècle, les Espagnols participent à la traite des Noirs, « importés » d'Afrique pour remplacer les autochtones décimés par les épidémies.
© Françoise Huguier
C'est donc dans la douleur que le culte romain fit sont entrée dans le pays. Les Colombiens semblent loin de vouloir effacer cette Histoire empreinte de violence, le catholicisme étant largement majoritaire dans ce pays (93%). Les différents couvents, et surtout le kitsch avec lequel ils sont décorés, créent comme un malaise à la découverte de ces images. Le premier portrait représente une religieuse de dos, devant une bougie. Le regard est attiré par une petit alcôve en fer, décorée par une demi-lune derrière laquelle trône un crucifix. Un néon bleu éclaire la scène.
© Françoise Huguier
Ambiance aseptisée, sans charme, retrouvée un peu plus loin avec une vierge auréolée d'étoiles, et là encore éclairée par une lumière blafarde dans sa vitrine entourée de gros rubans blanc. Précédée d'une page blanche, la valeur sacrée n'est pas évidente au premier coup d'oeil tant l'atmosphère semble loin de celle mystique et séculaire d'une chapelle, de la magnificence d'une cathédrale.
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Au fur et à mesure des pages tournées, le lecteur décèle la grande humanité qui se dégage de ces images. Certaines situations cocasses prêtent à l’interrogation, voire au sourire, comme ces deux photographies où des religieuses portent un ballon entre leurs mains. Que font-ils dans un couvent ? Peut-être servent-ils ici à rappeler les valeurs humanistes de ces lieux qui accueillent les femmes en détresse dans un pays aux valeurs conservatrice sur plusieurs points. Françoise Huguier, dans un article de Libération, évoque la notion de « bénévolat religieux ». En effet, les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul aident les mères ayant un enfant handicapé, car elles sont souvent mal perçue en Colombie. Elles aident la mère et l'enfant à établir une « relation affective et thérapeutique pour les deux. » Ces ballons pourraient être assimilés à ce lien qui se tisse, à un symbole de la générosité de celles qui dédient leurs vies à Dieu et à leur prochain.
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Le supplice du Christ est évoqué par deux gros plans des pieds cloués et des genoux en sang, image du martyr fondateur de la chrétienté qui réapparaît quelques pages plus loin dans une sorte de triptyque : une chaise, les jambes de Jésus Christ et une jeune religieuse portant des lunettes assise à gauche, le tout ayant pour fond des voiles blancs qui permettent de laissent pénétrer de la lumière dans la partie supérieure de l'image. Ces rideaux, tel un pont entre l'intérieur et l'extérieur, évoque la frontière entre deux mondes.
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Toutes les photographies du livre sont prises en intérieur, et sur une seule on voit leur corps en entier. Sur cette double page, quatre femmes souriantes devant des portes grises surmontées de persiennes portent des tuniques sobres, à la couleur passée. Illustration d'une vie ascétique, qui a marqué Françoise Huguier dans son enfance, puisqu'elle était pensionnaire dans une école tenues par des religieuses.
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Mais point de vengeance malgré une touche d'ironie. Si le spectateur s'attache à ces femmes, il regrettera sûrement de ne rien savoir de leur âge, de leur origine ou encore de leur parcours.
Ce livre dévoile le monde austère des couvents colombiens, et semble être la porte d'entrée d'une étude plus approfondie de la religion dans ce pays.
Adèle Binaisse
Les Nonnes, de Françoise Huguier
Texte : Gérard Lefort
Filigranes Editions
80 pages
135 x 200
25€