« Il s’agit d’un voyage, du voyage de la mémoire et d’exil », ainsi débute le récit qui accompagne le livre et le film Mare Mater, journal méditerranéen, du photographe Patrick Zachmann. Comme le dit le titre de l’ouvrage, la mère et la mer sont les deux éléments qui permettent de nouer les liens entre l’histoire personnelle de l’auteur et les destins des migrants qui abandonnent leurs pays et leurs mères pour aller chercher une autre vie en Occident. La méditerranée constitue l’arrière-plan sur lequel s’entrecroisent ces histoires.
La migration et la violence du déracinement forcé sont deux éléments récurrents dans le travail de l’auteur. Patrick Zachmann, membre de l’agence Magnum depuis 1990, a commencé son activité de photographe en 1976. Depuis lors, son travail a souvent porté sur des situations sociales tendues, que l’auteur a voulu affronter avec le temps lent et le regard approfondi propre des reportages et des projets de long-terme. Il s’est plongé dans le milieu napolitain pour enquêter sur la mafia ainsi qu’en Chine sur la diaspora chinoise, mais sa réflexion principale touche les questions de l’exil et de l’identité.
© Patrick Zachmann
Mare Mater, journal méditerranéen, s’insère donc dans un corpus cohérent d’ouvrages, fruit d’un intérêt et d’un travail inépuisables pour les histoires humaines de gens forcés de partir et de refouler leur passé. Toutefois, l’approche du livre se distingue des autres travaux, en livrant un résultat original et inédit. Le récit suit trois niveaux narratifs, qui se développent au fur et à mesure dans ce carnet des voyages. En effet, le voyage géographique implique plusieurs voyages intimes, affectifs et existentiels autour du passé de l’auteur et des migrants.
© Patrick Zachmann
L’entrecroisement entre l’histoire familiale de la mère de l’auteur- une femme juive algérienne, désireuse d’oublier son passée et ses origines modestes-, la douloureuse séparation entre les mères et leurs fils en route vers l’Europe, et les annotations sur l’éthique photographique, constitue la particularité de cet ouvrage. La nécessité de récupérer la mémoire, face à la maladie de sa mère qui en efface les souvenirs, et le besoin de raconter l’histoire des migrants sont les catalyseurs du travail de Patrick Zachmann. Toutefois, si l’origine du travail est double, ces raisons convergent au final dans la volonté de retrouver une mémoire et reconstituer, à travers la recherche photographique, un lien interrompu.
© Patrick Zachmann
Ainsi, la question de mémoire est intimement nouée à celle de la pratique photographique. L’auteur l’admet au tout début du livre : « Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire ». Le travail est donc aussi un questionnement du statut du photographe, sur le rôle du moyen et sur la déontologie du métier. Les trois plans narratifs ne constituent pas trois sphères séparées et parallèles ; elles sont plutôt trois lignées convergentes, qui appartiennent, finalement, au même récit. « Mes voyages, pour me constituer une autre mémoire que la mienne, me mènent vers les migrants d’Afrique du Nord, du Mali, de Chine ou d’ailleurs. Ils font souvent écho à mon histoire familiale ou personnelle. Mes thèmes de recherche et mes obsessions sont finalement toujours un peu les mêmes. La forme varie, mêlant couleur et noir et blanc, photos et cinéma, images et écrits. J’ai besoin d’aller-retours permanents entre le conscient et l’inconscient, la réalité et la fiction, entre le monde extérieur et le mien, les autres et moi. ». Les rebondissements entre l’histoire personnelle et le monde extérieur caractérisent la démarche de l’auteur : « Cette approche par cercles concentriques est aussi un instinct de survie artistique. C’est même le moteur de ma création car si je trouve toutes les images qui me font défaut, il n’y a plus de creux à remplir et j’ai peur de n’avoir plus rien à dire. »
© Patrick Zachmann
Ce récit peut paraitre fragmentaire, mais au bout de sa lecture, il révèle son caractère cohésif. Les morceaux de vie deviennent les petits fragments d’une trame unitaire. L’ouvrage édité par la maison d’édition Actes Sud est accompagné d'un DVD qui contient le film homonyme, réalisé par le photographe.
Mare Mater, journal méditerranéen est une lecture qui capture, pousse la réflexion, et accompagne, dans un voyage où les frontières entre l’intime et l’extérieur s’estompent, comme celles entre l’ici et le là-bas. Comme le souligne François Cheval du musée Nicéphore-Niépce dans la préface, « La rêverie débordante d’un être seul, la mémoire défaillante, la hantise et les hallucinations qui se refusent aux images sont la quête de Mare Mater ».
Anna Biazzi
Mare Mater. Journal méditerranéen
Éditions Actes Sud
312 pages
17 x 24 cm
222 photos en noir et blanc et en quadri
Ouvrage accompagné d’un DVD
39 €