© Mathieu Pernot
Le jeu de Paume présente La Traversée, une exposition chronologique rassemblant les photographies de Mathieu Pernot, toutes réalisées entre 1995 et 2013. Ce large espace temps aura permis la production de 12 séries visuelles, toutes reliées au thème du nomadisme, du déplacement.
Au rez-de-chaussé du Jeu de Paume, documents, archives et photographies sont le témoignage de la présence, mais aussi de l'absence de personnes ou d'actions. Les acteurs sont des populations Tziganes, Afghanes ou Roms, que le photographe a côtoyé durant vingt ans pour certaines. Elles sont rassemblées ici par un même thème cité plus haut.
Photographier l'invisible, l'offrir aux regards en le faisant se mouvoir.
Il est vrai que le déplacement est ce lieu qui se réinvente et s'adapte continuellement. Mais à travers cette exposition, Mathieu Pernot semble avoir fixé une partie de son œuvre au Jeu de Paume, où il cohabite en ce moment et jusqu'au 18 Mai avec Robert Adams et Nika Autor.
En ce qui concerne Mathieu Pernot, la photographie est l'art du contact et du réel, et si l'image est aujourd'hui noyée « dans la tuyauterie d'internet » selon les mots de l'artiste, il est impératif que la représentation donne à réfléchir et à penser.
De cette façon, Pernot démarre en 1995 la série Photomaton , alors qu'il est étudiant à l'Ecole Nationale Supérieure de Photographie d'Arles. Photomaton sera le précurseur des séries suivantes, l'initiatrice d'une cible et de thèmes gravitant autour d'elle.
Comme Fenêtre, la Jungle, ou encore Mauvaise Herbe, qui reflètent l'absence pour mieux revendiquer une présence effacée, oubliée, Un camp pour les Bohémiens, Roumanie, ou encore Le feu, sont quand à elles le reflet palpable d'individus, des personnes en déplacement, dont le mode de vie est bien loin des convenances et d'une réalité contemporaine.
Cette même réalité s'est vue « sortir du gris » à travers le travail de Mathieu Pernot, comme le notifie justement le Philosophe et Historien d'Art Georges Didi-Huberman. Le photographe, malgré l'impasse du visible, crée les champs du possible.
A travers Panoptique et Mauvaise Herbe, l'artiste capture seulement l'espace, les murs et l'écriture. Le spectateur sent pourtant que l'enjeu est ailleurs : il est dans ce qui n'est pas, il est l'absence.
De même et avec la série les Hurleurs, l'enjeu est hors du cadre. Mathieu Pernot a figé la voix et les décibels: «Ceux que l'administration pénitentiaire appelle « les parleurs sauvages », essayent de communiquer avec leurs proches incarcérés, tout cela est assez théâtral. Les gens en train de crier, des personnes extérieurs à la prison, refusent simplement le mode de communication proposé par la prison, le difficile face à face des parloirs ».
© Les Hurleurs Mathieu Pernot tous droits réservés
Reste alors la dernière série dans la dernière salle réservée à l'exposition : Le feu. Là, des portraits flamboyants aux couleurs chaudes, des hommes et des femmes qui observent, impassibles. Brûler la caravane d'un défunt est un rituel, une coutume Roms. Mathieu Pernot a regardé avec eux, il a assisté avec ces gens qu'il connaît bien désormais, et il a photographié.
Cependant, ce dernier n'est pas sociologue. Comme il l'explique, le sujet de son documentaire est avant tout un questionnement face à l'image: « Au-delà des enjeux démographiques et économiques, la notion migratoire a pour moi été un positionnement en tant que photographe. Je voulais travailler sur des gens en marge de nos sociétés, ceux qui ne veulent souvent pas se donner à voir. Pour les Afghans qui ne savaient pas que je les photographiais, c'est encore différent.
Cela fait vingt ans que je photographie les Roms, pour moi il est question de reconstituer un puzzle, de savoir quelle histoire on désire raconter, quelle réalité les images racontent une fois mise ensembles. Une réalité sociale vue par un photographe en somme.»
© Le Feu Mathieu Pernot tous droits réservés
© Le Feu Mathieu Pernot tous droits réservés
La dimension archive et documentaire dans La Traversée est importante, elle a motivé certaines recherches et parfois constitué le noyau dur du travail. Pour sa série le meilleur des mondes, Mathieu Pernot a reproduit et agrandit une collection de soixante cartes postales éditées en 1950 et 1980. Il s'agit de donner un aperçu de l’urbanisme des banlieues françaises, dont la série suivante, Implosions, prouve qu'elle n'est que vision fantasmée des trente Glorieuses.
© Implosions Mathieu Pernot tous droits resérvés
D'une autre façon, la documentation acquise grâce au centre d'archives des Bouches du Rhône, a servi de base et de tremplin au projet du photographe : « J'ai appris qu'il y avait un camp, puis des archives départementales. Je connaissais les familles dont j'ai inventorié toutes les informations, reconstitué des généalogies. J'allais voir les familles et je cherchai à les retrouver à partir des archives. Cela a été possible grâce aux réseaux familiaux que j'avais, je les connaissais et depuis longtemps.
L'émotion a été grande lorsque je reconnaissais les gens sur les photographies, j'étais vraiment heureux de les reconnaître, tout cela était comme un vertige du temps qui passe.
Ces documents ajoutés aux photos ne peuvent plus êtres contestables, il sont un témoignage sur le camp, un véritable récit photographique.»
La photographie est le moyen d'un documentaire à images fixes, pour laisser le temps de la réflexion, ne pas se perdre dans un flux continu d'images. C'est la façon dont Mathieu Pernot a voulu saisir le réel, car il réfute toute part de fiction à son projet : certes il est possible de se raconter des histoires, mais l'instant capturé est bien réel.
Bien réel... Comme l'internement du grand-père de la famille Gorgan, dans le camp de concentration de Saliers, en Camargue, crée pour les « boémiens » en 1942 et par le régime de Vichy.
Ne reste plus alors que le travail de mémoire, l'indicible et l'invisible, le paradigme de l'espace dont on ne peut plus distinguer ni les lignes ni les coins. Mais surtout la place de l'être humain, dont certains méritent certainement une visibilité moins opaque.
Le jeu de Paume offre cette visibilité nouvelle et affranchie du pathos. Elle est un simple et bel hommage à l'Histoire, elle est sérieuse et approfondie, et transcende la simple notion d'actualité en la reliant à ses causes et ses effets.
Charlotte Courtois
Mathieu Pernot
La Traversée
du 11 Février au 18 Mai 2014
Jeu de Paume
1 Place de la Concorde 75008 Paris