Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
Le Bal a ouvert le 23 janvier dernier Ponte City, une exposition d'envergure. Celle-ci porte le nom de la plus haute tour de l'hémisphère sud construite en 1970 à Johannesburg.
Pendant cinq ans, quatre mains se sont appliquées à mener à bien le projet: celles de Patrick Warehouse et Mikhael Subotzky.
Ce dernier est né à Cape Town en 1981. Depuis plus de huit ans, il travaille de façon complète et complexe sur les prisons d'Afrique du Sud, il est l'un des plus jeunes photographes de l'agence photos Magnum.
Exposé notamment à New-York (Museum of Modern Art), Londres (Victoria & Albert Hall), et en Afrique du Sud (South African National Gallery), il publie sa première monographie Beaufort West chez Chris Book en 2009.
Un an plus tôt, il démarre un projet réalisé avec son ami et collaborateur anglais Patrick Warehouse.
Né la même année que Subotzky en Angleterre, Patrick Warehouse est adepte de dessins et de photographie: il a été exposé à Johannesburg, Miami, et Londres. Actuellement, il est co-rédacteur en chef du magazine Colors et travaille sur une version illustrée de l'Enfer de Dante.
L'exposition à quelques points communs avec une enquête judiciaire: Comme sur les tableaux où sont rassemblés les indices dans les bureaux de police, Ponte City fournit un reportage dense et souvent énigmatique. Pourtant, les deux photographes n'ont pas cherché à dénoncer ni à fournir des preuves, ils ont simplement donné naissance à un reportage, un témoignage riche, multiforme, et humaniste, dans lequel s'entremêlent des photographies, mais aussi des archives.
Deux salles accueillent ce savant mélange à travers un format modeste et efficace : ni cadre ni explication grandiloquente, les photographies et documents sont simplement piqués au mur par un clou très fin.
Dans la première pièce sont affichés entre autres, les portraits des habitants de Ponte City photographiés dans les ascenseurs, lieu de rencontre qui a permis de sceller des liens entre les photographes et les résidents : « Nous leur avons dit que nous voulions faire un livre, ils étaient plutôt contents que l'on s'intéresse à eux et à leurs situations.» confie Mikhael Subotzky.
Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
« African Queen »
Ponte city est l'incarnation moderne de ce que les anciens auraient qualifiés d'Hybris dans l'Antiquité, l'incarnation de la démesure, et de la vanité humaine.
Dans les années 70, les alentours d'Hilbrow agissaient comme un aimant : cafés aux noms venus d'Europe, clubs de Jazz, librairies et magasins de disques... Un fleurissement culturel et identitaire qui attirait les populations blanches et aisées.
C'est dans ce contexte d'effervescence et de prospérité que Ponte City voit le jour, construite entre trois villes phares de Johannesburg.
Mais pendant ce temps, la révolte gronde. Lorsqu'elle éclate avec les soulèvements étudiants de Soweto en 1976, la tour est désertée par ses résidents pour des quartiers moins mixtes et plus sûrs, au Nord de la ville.
L'utopie fait place au déclin, et Ponte City sombre dans la décrépitude urbaine.
Mais la Tour ne tombe pas dans l'oubli, elle continue d'être nourrie par l'imaginaire collectif, par des mythes dont il faudrait pouvoir distinguer le vrai du faux: entre les fantômes et les serpents, la prostitution, le crime et les trafics de drogues...Il est bien difficile de garder un œil omniscient et omnipotent sur le monstre de 54 étages.
Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
Le 5 Décembre dernier, la mort de Nelson Mandela a été l'occasion de nombreuses réflexions à propos de l'héritage laissé aux sud-africains.
Evidemment, beaucoup ont parlé de disparités, d'inégalités, de paradoxes économiques et surtout, des résidus tenaces de l'Aparthied.
Pourtant, Mickhael Subotsky, apaisé et confiant, semble croire en ces mutations qui traversent le pays: « Ce n'est pas parfait, ça n'a pas toujours bien fonctionné, il y a toujours beaucoup de problèmes mais ça va. Je veux dire tout n'est pas si mal, les changements sont en train d'avoir lieu. Beaucoup sont heureux et c'est ce qu'il est en train de se passer dans la Tour ».
Ponte City est, d'une certaine façon, un miroir fantasmé des variations politiques et sociales de la société sud-africaine. La tour a vécu les changements au rythme de la capitale. Elle a suivi l'irrégularité et la complexité de la société sud-africaine.
« Live in Ponte and never go out »
Quels sont les projets futurs pour Ponte ? « A un certain moment, il était question de la transformer en prison ». Mikhael Subotzky affirme s'être passionné pour la Tour pour des raisons similaires à son intérêt pour les maisons d'arrêts: « Je m'intéresse à la relation entre les espaces institutionnels et les structures de vie publique, il y a quelque chose à propos de la structure et de l'architecture. J'aime la nature de l’Afrique du Sud, il s'agit de s'engager auprès des gens, de raconter des histoires, et de rassembler chacun des points de vues.»
En 2007, le promoteur immobilier David Seylan décide de racheter Ponte et rêve d'en faire un village, d'utiliser enfin sa structure et son architecture unique : Centre commerciaux intégrés, jardins intérieurs, bureaux... Mais la crise boursière de 2008 fait fuir les investisseurs. Le projet et ses initiateurs restent blêmes, impuissants face à l'ampleur et aux coûts d'un tel rêve.
Pendant cette investiture, de nombreux habitants ont été mis dehors et on dû partir dans l'urgence. Ce qu'ils ont laissé derrière eux constitue une des parties les plus importantes de l'exposition : des bouts d'existences d'après lesquels il est facile d'imaginer une histoire.
Ces documents récoltés par Warehouse et Subotzky sont des images, des lettres, des photographies, des pages de livres et même de pochettes de cassettes vidéos. Autant de lambeaux d'intimité qui témoignent souvent d'une fuite en avant, de projets, de secrets et de rêves d'adultes ou d'adolescents.
Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
Les deux photographes ont partagé ce quotidien avec les habitants restants, ils ont regardé avec eux la télévision, visualisé les séries hollywoodiennes et les shows de personnalités venues d'ailleurs, vêtues de paillettes.
Ponte City est à l'image de toute ces parties du monde qui, chacune à leurs échelles, souffrent de la société de consommation et de la mondialisation.
L'avancée des choses est telle qu'un désir est constamment relayé par le suivant. Les possibilités de vie entrevues par chacun sont classées, analysées par le biais de projections et de fictions polymorphes. Peu importe que le pays concerné soit du Tiers-Monde ou bien des Etats-Unis d'Amérique: la difficulté réside dans ces désirs changeants et oppressants, qui se heurtent chaque fois à une réalité politique propre.
«Nous avons inventé LE BAL pour créer une zone franche, un territoire d’images traversé de part en part par des enjeux historiques, sociaux et politiques. Pour créer un lieu et des temps de re-connaissance du réel dans toute sa complexité, ses contradictions. Face à la crise de l’information visuelle et à l’omniprésence de la société du spectacle, nous faisons le pari que l’image-document peut résister. Sans illusion mais sans résignation. Simplement pour dire le monde.» Diane Dufour, Directrice du Bal.
Née d'un projet de l'association des amis de Magnum, il semblerait que le Bal tienne ses promesses et surtout reste fidèle à ses aspirations. L'exposition Ponte City est bien lisible à travers ces lignes. Lisible à travers la complexité et la contradiction, celle du sublime et de la misère, qui s'influencent et s'alimentent sans cesse.
Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
Mikhael Subotzky & Patrick Warehouse, Ponte City, 2008-2013 © Magnum photos
Charlotte Courtois
Ponte City, autopsie d'un rêve architectural en Afrique du Sud (1975-2013)
Le Bal 6, impasse de la Défense 75017 Paris
Jusqu'au 20 Avril 2014