© Sébastien Cuvelier
Dans l'imaginaire collectif, la vie des Roms est itinérante, une vie de bohème originale. Pourtant, dans son ouvrage Gypsy Queens, Sébastien Cuvelier démontre qu'une autre vie est possible pour les Roms, celle de la richesse et de la démesure de ses palais. Des palais flamboyants, démesurés, où l'abondance prédomine. Montrer, prouver peut-être aux autres la réussite tant attendue.
Né en 1975 en Belgique, Sébastien Cuvelier a mené ses pérégrinations de photographe au plus près de ces lieux insolites. Comme il l'explique dans son ouvrage, la tâche n'a pas été facile pour percer le mystère de ces palais d'argent « C'est là que mon projet photographique a commencé, en 2011. Intrigué par ce qui se passait derrière les murs de ces palais flamboyants et frustré de ne pouvoir réellement communiquer avec les habitants, il m'a fallu deux ans d'efforts et l'aide indispensable de mon amie et traductrice Andreea pour trouver d'autres lieux similaires et, surtout, ouvrir ces portes désespérément closes. A deux, nous avons arpenté à plusieurs reprises les routes roumaines pour un périple total de plus de 6000 kilomètres, qui nous a mené aux quatre coins du pays : Ciurea au nord-est, Ivesti et Livesti à l'est, Strehaia à l'ouest, Buzescu au sud. »
© Sébastien Cuvelier
© Sébastien Cuvelier
Un monde à part, qui a ébloui le photographe et inspiré ses prises de vues. L'ouvrage Gypsy Queens, publié chez Husson, regroupe ainsi 56 images issues de ce reportage hors du commun. Des photographies très colorées, où l'accent est mis sur l'apparat et le clinquant de ces lieux de vie hors du temps. Des lieux, certes, mais aussi des figures féminines. Sebastien Cuvelier immortalise dans son ouvrage non seulement ces cages dorées, mais leurs maîtresses de maison ou occupantes.
C'est avec étonnement que le public découvre un univers fait de dorures, de brillants et de couleurs. Du sol au plafond, dans les moindres détails, le public est plongé dans une caverne d'Ali Baba dans laquelle pose fièrement une population qui revendique son droit à la gloire. Le cadre est en effet marqué, et au centre de l'image, Sébastien Cuvelier s'est attaché à montrer le visage de ce monde intriguant. Dès la couverture, le lecteur est mis en situation : une jeune femme pose fièrement au milieu d'une chambre à coucher immense. Un lustre démesuré en forme de cœur orne le plafond, et des meubles clinquants peinent à remplir la pièce. Dès lors, le ton est donné.
© Sébastien Cuvelier
© Sébastien Cuvelier
En tournant les pages de Gypsy Queens en effet, le lecteur découvre avec étonnement des maisons immenses, des tenues clinquantes, des bijoux éclatant, bref, un monde où la superficialité et le paraître règnent en maîtres. Christian Mosar, auteur de la postface de l'ouvrage, précise avec justesse que « les photographies de ce livre montrent les cages dorées d'un microcosme au baroque indépendant et individuel. Il s'agit ici d'une nouvelle cité des femmes qui restent seules, alors que leurs maris sont en déplacement professionnel. Et dans cette reluisante monumentalité architecturale, la géométrie de l'ornement est omniprésente. Des extérieurs protégés par des clôtures miroitantes jusqu'aux intérieurs aux plafonds hauts qui ridiculisent tout ameublement standardisé, cette monumentalité improvisée semble servir de support à une mise en scène de soi, qui fascine. »
© Sébastien Cuvelier
© Sébastien Cuvelier
Le photographe choisit de ne pas guider outre mesure le lecteur de ses pages. Pas de légende, de titre, de date qui aiguillerai sa déambulation. Les mots de Christian Mosar viennent apporter les informations nécessaires, sur ces lieux d'un autre temps « Pour les cinq mille habitants du petit village de Buzescu dans le judet roumain du Teleorman, le rêve du palais privé fait partie du quotidien. De grandes maisons aux façades souvent symétriques, une architecture sans architectes, forment un décor presque irréel qui n'a plus rien à voir avec le cliché de la baraque précaire ou de la roulotte nomade. » Mais d'où viennent ces palais de l'affluence ? « Depuis la chute du mur de Berlin et la dissolution du bloc soviétique, la communauté de Buzescu s'est construite un environnement qui semble étrange au visiteur d'ailleurs et qui a fasciné Sébastien Cuvelier lors de son premier voyage en Roumanie. »
Ainsi, Gypsy Queens entraîne un lecteur surpris dans un monde presque irréel, dans un autre cliché, mais celui-ci aux antipodes de l'originel sur la communauté Roms. Un cliché pour un autre savamment démontré par Sébastien Cuvelier.
Claire Mayer
Gypsy Queens de Sébastien Cuvelier
Editions Husson
96 pages / Format 30,2 x 20,2 cm
32 euros