© Jean-François Baumard
« On est à Cuba fier, pauvre, solidaire et digne »
Michel Rocard, préface de Somos Cubanos
Œuvre éditée par la maison d’édition Le Bec en air, Somos Cubanos entraine son lecteur dans un voyage poétique de 16000 km au cœur de Cuba et de la vie des cubains. Par les quatre-vingt clichés de son polaroid, le photographe Jean-François Baumard dresse un tableau en noir et blanc, pourtant extrêmement nuancé, de la société cubaine contemporaine. C’est la curiosité pour un peuple fier et une histoire méconnue qui a mené le photographe vers l’île des Caraïbes au lendemain du cinquantième anniversaire de la Révolution castriste. En effet, comme le souligne la poète cubaine Nancy Morejón auteur, avec Silvio Rodríguez, des textes du livre, dès la Révolution de ’59 Cuba a été à plusieurs reprises frappé d’ostracisme à travers la contrainte de l’embargo et le discours médiatique occidental. Ces circonstances ont contribué à figer une image déformée de l'île et de ses habitants, image que Jean-François Baumard a voulu remettre en question.
Quel rapport entre les cubains, leur terre et leur histoire? C’est cette interrogation anthropologique qui a poussé l’auteur à entreprendre son voyage, une introspection similaire à celle que le narrateur porte sur les personnages de son œuvre.
© Jean-François Baumard
Une interrogation qui est, d’ailleurs, familière à Jean-François Baumard, dont plusieurs travaux passés ont porté sur l’alliance intime entre les peuples et les terres. Photographe freelance pour la presse, Jean-François Baumard s'est formé dans les années 1980 entre la faculté d'Histoire de l' Art et l'Ecole Nationale de la Photographie d' Arles. Il a été auteur de différents reportages publiés dans Libération, Globe Hebdo, Parcours Magazine, ainsi que de nombreux projets personnels sur le thème du voyage et de l’errance. Un fil rouge traverse son parcours professionnel, et c'est l’attention pour les interactions entre hommes et lieux. Le texte qui accompagne son livre Hammam, paru en 1999, explique bien la posture dans laquelle l'auteur observe ces interactions: « regarder le lien, regarder l'homme, regarder la condition ».
© Jean-François Baumard
Et en effet, de Somos cubanos émerge le même regard humain et la même exigence de compréhension qui caractérisent les autres travaux du photographe. C’est cette approche intime et discrète qui parvient à dévoiler, en citant Nancy Morejón, le « rythme mystérieux » qui jalonne la vie des cubains. Les détails d'un geste, les signes d'un visage et les actes d'un quotidien frugal montrent la dignité de la pauvreté et la solennité de la simplicité. Toutefois, le photographe ne s’arrête pas, ici, au regard contemplatif. Il le dépasse pour relier entre eux les divers fragments capturés, « qui montrent les flottements d'un moment ». C'est cette trame reconstruite qui rend au détail sa pleine signification en révélant, en même temps, la complexité du réel. Cela témoigne de la profondeur du regard et de la capacité synthétique du photographe, qui ne se borne pas à l'enregistrement stérile d'éléments séparés. Là où son objectif se pose, il existe un échange, une relation à mettre au point et à raconter.
© Jean-Françcois Baumard
© Jean-François Baumard
Ainsi, comme le démontre ce livre, une étude sur Cuba ne peut pas faire abstraction des liens entre population, territoire et histoire. Ce sont ces entrecroisements que l'auteur cherche à enquêter et à mettre en évidence. Et il y parvient. Voilà la poésie de ces polaroids, qui ont le pouvoir de raconter l'essence d'un peuple à travers des gestes simples, quotidiens, pourtant denses de signification. Ce sont des gestes chargés de sens subjectif et collectif, de valeur émotive et historique. C'est la combinaison de ces éléments qui fait la richesse et la force expressive de cette œuvre. « Ainsi nous sommes », texte écrit par Nancy Morejón et qui accompagne la série des visuels, explique l’importance de ce travail: « Les images captées par l’objectif de Jean-François Baumard sont les formes pures d’un indéniable style de vie. Elles rassemblent, comme une source vivante, les détails les plus infimes, les gestes d’affirmation et de courage les plus subtils; elles nous disent la naissance de ces territoires et comment ils ont survécu.» Le passage d'une chronique d'actes quotidiens à la narration d'un peuple, pousse ce travail à franchir les limites artistiques pour s'inscrire dans une dimension sociale. Les clichés qui capturent les cubains, affirment, d'ailleurs, l'existence et l'histoire de ce peuple. Voilà pourquoi le travail de Jean-François Baumard est une œuvre de mémoire.
© Jean-François Baumard
Comme une démarche anthropologique qui à partir de petits morceaux d'une réalité fragmentaire parvient à en reconstruire le sens global, l'approche de ce travail permet à l'auteur de révéler Cuba et ses habitants, dépouillés de tout stéréotype et de tout préjugé. Il en sort un langage inédit « propre à une sensation plus juste et plus poétique » de Cuba, qui mène à se plonger dans la vie quotidienne de l’ile. La force expressive des visuels est accrue grâce au récit de Nancy Morejón, un texte passionné qui achève la poésie du livre. L’attention à l’équilibre entre texte et image et au graphisme sont d’ailleurs parmi les priorités principales de la maison d’édition Le bec en l’air.
Finalement, comme le dit Michel Rocard dans la préface du livre, « il est temps que Cuba et son peuple soient présentés au monde à nouveau. Cela avait déjà été fait, mais l’oubli vient si vite ! ».
© Jean-François Baumard
Anna Biazzi
Somos Cubanos, photographies de Jean-Francois Baumard, textes de Nancy Morejón et Silvio Rodríguez
Editions Le Bec en l' air
184 pages
27 x 30 cm
80 photographies en noir et blanc
38,5 €