Entre jeux des matières, des formes et des contrastes, le dernier ouvrage de Jean Cazelles publié aux éditions Au Fil du temps, plonge le lecteur dans l'univers sensoriel et onirique de l'artiste. Connu pour ces photographies impressionnistes et son approche très sensitive, Jean Cazelles est avant tout un observateur qui s'émeut de chaque courbe, chaque substance qu'offre la nature et s'amuse des répercutions de la lumière qu'elles captent et renvoient.
« Il faut vraiment être en « état de grâce » pour percer « l'esprit des lieux » et tu as cette chance d'en bénéficier largement », avoue volontiers Jean-Claude Gautrand en préface à Jean Cazelles. C'est un très beau commentaire qui prend tout son sens à la découverte d'un travail aussi énigmatique que déroutant. À la frontière du réel, il faut souvent s’épancher avec attention sur certains clichés afin de ne pas les confondre avec des œuvres picturales. Les gros plans, les aplats de matières se perdent et se confondent dans les différentes nuances de gris que l'auteur arrive à extirper et réécrire sur le papier.
© Jean Cazelles
© Jean Cazelles
Né en 1948 dans l'univers brumeux et industriel de l'Aveyron, il débute le dessin et la photographie dès l'age de neuf ans, suis des études à la Capitale et revient enseigner les Arts plastiques à Rodez. Ne quittant pas son œil de l'objectif, il ne manqua pas l'occasion dès qu'elle se présenta en 1998 de promouvoir la photographie dans toutes ses dérives au travers de l'association Photofolies. Ce premier festival éponyme aura l'immense honneur d’accueillir Raymond Depardon pour sa première édition et depuis, d'autres grands noms se sont succédés. En 1995, Jean Cazelles s'est vu attribuer le Prix spécial du Jury d'Agfa Noir & Blanc et Photographie Magazine auquel suivirent bien d'autres distinctions. En 2005, il est nommé chevalier de l'ordre des Palmes Académiques et des Arts & des Lettres.
Comme une invitation au voyage, l'illusionniste émérite fait travailler l'imaginaire et contraint l'esprit à se dégager de ses perceptions naturelles pour regarder les détails où de coutume le regard ne se porte pas, ou peu. C'est une approche généreuse et en totale interaction avec l'observateur qui laisse parler les impressions individuelles, les plupart s'avérant souvent trompeuses. Ce qui de prime abord évoque un paysage lunaire jonché de cratères n'est en réalité qu'une macro de l'écorce d'un vieux pin desséché et les vallons d'un désert de dunes, les alvéoles d'un carton froissé. Le détournement des formes et des matières appuyé d'un seul jeu d'ombre et de lumière, vient finalement jouer sur la stéréoscopie du regard.
© Jean Cazelles
© Jean Cazelles
Les 258 pages de ce grand format carré (30 X 30 cm) se présentent comme un portfolio dans lequel viennent se glisser des phrases et des citations choisies par l'auteur, faisant office de légende, elles accompagnent la lecture de l'ouvrage. Les impressions en format carré répondent parfaitement à la composition très structurés et géométriques des photographies. Certaines sont positionnées en triptyque, formant de vraies œuvres à part entière comme si, individuellement, elles perdraient tout intérêt. Un choix d'exposition qui rend compte du procédé de l'artiste venant frapper l'oeil du lecteur et l'invitant à mimétiser l'artiste pour le suivre dans les méandres obscures de la distorsion des genres.
Jean Cazelles s'explique et déclare « qu'il faut se laisser séduire par une forme, une lumière, glisser un oeil et s'interroger (…) ». Pour se faire comprendre il cite George Braque en rappelant : « qu'écrire n'est pas décrire, peindre n'est pas dépeindre, la vraisemblance n'est que trompe l'oeil ». Jean Cazelles a sans nul doute parfaitement compris l'intérêt de jouer avec les perceptions et maitrise parfaitement les codes de l'illusion d'optique. Cependant, il ne s'éloigne en aucun cas de sa démarche réflexive en n'octroyant aucune faveur à ses lecteurs, les faisant douter jusqu'au bout. Déclarant même ne pas se sentir comparable à la technique d'un Dali qui dévoilait, selon lui, la part de magie nécessaire à toute production utopique. A le lire, il est un puriste, magicien de l'image et redoutable technicien de l'optique qui métaphorise la captation pour extirper le rêve et l'imaginaire qui réside en tout un chacun ; « La photographie c'est de l'affect, le prolongement de l'esprit plus que celui de l'oeil ».
© Jean Cazelles
© Jean Cazelles
Jean Cazelles invite à la contrefaçon mais ne ment pas sur ses moyens et intentions. C'est en toute honnêteté qu'il dévoile ses « trucs et astuces » au cours d'une interview menée par Philippe Olivier. Évoquant avec simplicité son travail en laboratoire, il apparaît que le magicien de la supercherie ne déroge pas aux trois étapes indispensables à la réalisation d'un cliché : la prise de vue, le développement et le rehaut graphique. Les considérant d'une importance égale, il confesse ne pas déclencher son appareil s'il n'est pas déjà en mesure d'anticiper le travail de retouche.
© Jean Cazelles
© Jean Cazelles
D'une simplicité paradoxale au rendu de ces images, Jean Cazelles offre dans Méprises et faux-semblants la compilation d'un travail de longue haleine, tout en subtilité et délicatesse. Son approche des objets et son regard porté en profondeur sur les choses comme si chacune d'elles étaient - aussi petites soient-elles – d'une envergure incontournable, interroge. Il force le regard à changer de posture et réussi de façon audacieuse à tirer toute la luminescence de l'obscurité, toute la teneur de l'insignifiant, toute la réalité de l'indéfinissable.
Sylvia Ceccato
Méprises & Faux-semblants, Jean Cazelles
Editions Au fil du temps
Collection 20 carré
30 x 30 cm / 258 pages – 130 photographies / 5 triptyques
Couverture rigide avec jaquette calque
48 Euros