© Martin Parr / Magnum Photos
Martin Parr a plus d'un tour dans son sac. Son parcours est à l'image de ses photographies, dense, hétéroclite, et, bien sûr, tout en couleurs. Au départ initié au noir et blanc, la vie de Martin Parr, ses images, n'ont véritablement de poids et d'ampleur qu'en couleurs. Celle-ci fait partie de lui, colle à sa seconde peau de photographe.
Né en 1952 dans une petite ville de banlieue au sud de Londres, « Martin Parr affirme avoir toujours su qu'il deviendrait photographe. George Parr, son grand-père, était un amateur éclairé. Il soumettait ses bromoils pictorialistes aux expositions, récoltant des cachets impressionnants au dos de ses tirages mats, gages de leur qualité. C'est avec ses encouragements que Martin Parr, alors âgé de seize ans, réalise une série de photographies d'une célèbre boutique de fish and chips dans le Yorkshire, où vivait George Parr ».
Les mots subtils de Sandra S. Philipps sont ceux d'une préface qui plonge immédiatement le lecteur dans l'univers de Martin Parr. Celle-ci explore en effet le parcours de l'artiste, de ses premières approches de l'image à la Manchester Polytechnic en 1970 où il y étudiera la photographie, à ses influences les plus marquantes, comme le photographe anglais Tony Ray-Jones qui a « photographié Américains et Anglais dans des situations quotidiennes cocasses, voire embarrassantes. » Ainsi, au-delà de retracer son circuit de vie, le texte permet également au lecteur de mieux comprendre l'évolution de son travail photographique, ainsi que l'univers social et artistique de l'époque dans lequel Martin Parr construit son propre espace photographique. « En 1982, Martin Parr rentre en Angleterre et s'installe près de Liverpool. Le passage à la couleur est un tournant décisif dans son œuvre. Comme plusieurs de ses contemporains américains, il opte pour un Plaubel Makina de moyen format, appareil souple et léger qui donne des négatifs ayant les mêmes caractéristiques que ceux provenant d'un appareil classique. Martin Parr recourt aussi plus souvent au flash pour combler les zones d'ombre, même par soleil, et s'équipe d'un grand-angle. Il s'intéresse à William Eggleston, non seulement pour son utilisation innovante de la couleur, mais aussi pour sa façon de photographier le Sud profond américain, sa riche histoire, triste et ambiguë, avec une sorte de malaise ou d'insouciance. »
Jubilee Street Party Elland England © Martin Parr / Magnum Photos
Puis, le lecteur appréhende ainsi l'évolution de l'inclinaison de Martin Parr, et son intérêt presque obsessionnel pour la consommation de masse et ses dérives : « A son retour, Martin Parr constate un bouleversement culturel en Angleterre. Les vieilles traditions immortalisées dans ses premières images cèdent la place à une activité culturelle de masse et à une économie agressive instaurée par Margaret Tchatcher. L'un des changements les plus spectaculaires aux yeux de Martin Parr concerne la nourriture, désormais produite en masse et vendue dans d'immenses supermarchés. Martin Parr étudie les changements dans la vie des gens ordinaires en observant les lieux où les liens communautaires perdurent (…) Il s'agit là d'une photographie documentaire sociale classique, qui témoigne d'un changement dans la société, pour laquelle l'adoption des biens matériels est devenue une valeur. »
La critique n'est pourtant pas le centre du travail du photographe, malgré la cocasserie de ses images. En effet, elles amusent certes son public, mais dénoncent également des problèmes sociétaux d'envergure. Elles montrent l'évolution des mœurs, qu'ils soient positifs ou non.
Riva Lake Garda Italy © Martin Parr / Magnum Photos
La préface, s'achève sur l'art de Martin Parr aujourd'hui « Récemment, l'oeuvre de Martin Parr a évolué vers un travail d'inventaire. » « En encourageant les photographes de Magnum à élargir leur conception de la photographie documentaire sociale, il a introduit ses propres conceptions sur la valeur de l'ordinaire et son dédain des divisions de classes dans des domaines tels que la photographie de mode. Ses photographies de mode présentent toujours des « vraies » femmes dans des situations ordinaires, en train de faire un plein d'essence par exemple, mais vêtues de tenues de couturiers coûteuses. Le thème sous-jacent demeure les effets provoqués par la culture mondialisée de l'homme. Comme cette culture elle-même, la curiosité de Martin Parr face à ses manifestations et à ses transformations est insatiable. Le résultat est plein d'humour, d'exubérance, d'émerveillement, mais avec une pointe de regret. »
L'ouvrage, de petite taille mais finalement suffisante (16 x 14,2) publié aux éditions Phaidon, présente 128 pages, d'images couleur et noir et blanc. A gauche de chaque image, un texte explicatif rédigé par l'auteur de la préface Sandra S. Philipps vient éclairer le lecteur : l'année de la photographie, et son contexte. Court mais précieux, celui-ci renforce le poids de ces images.
Ainsi, parmi les nombreux ouvrages consacrés à Martin Parr, Phaidon parvient à se démarquer en proposant un livre petit par sa taille mais conséquent par son contenu, qui ravira passionnés de l'artiste ou simples curieux, enthousiastes d'entrer dans son univers facétieux.
Claire Mayer
Martin Parr / édition Phaidon
128 pages, 16 x 14,2 cm
11,95 €