© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
Divinités Noires est la rencontre entre deux photographes, Dany leriche, Jean-Michel Fickinger, et la culture spirituelle africaine. Le couple présente diverses pratiques mystiques togolaises et béninoises à un lectorat souvent néophyte mais curieux. Leur passion commune, des pratiques africaines ayant « résisté(es) à toutes sortes d’attaques depuis les traites négrières jusqu'aux tentatives d'absorption par nos sociétés industrielles ».
La démarche est délicate, leur objectif se pose sur des religions diabolisées, « mêlant fascination et évitement, en raison de leur caractère violent », dixit Bernard Muller. Ainsi, ils ne sont pas moins de quatre à tenter d’éclaircir des pratiques se voulant opaques.
Tout d’abord, Dany Leriche, metteur en scène, et Jean Michel Fickinger, directeur de la photo. « Dany Leriche enseigne les arts plastiques à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Jean Michel Fickinger enseigne la photographie à l’école Nationale Supérieure d’Art de Nancy. Duo de photographes voyageurs, ils traversent l’Afrique, attirés par les mystères de certaines coutumes survivantes et recherchent les minorités spirituelles qui résistent à la mondialisation et au matérialisme scientifique » livre la maison d’édition coéditrice, avec La maison d’été, Graines de Pensées. Mais aussi, Jean Christophe Fleury, critique d’art spécialisé dans la photographie et Bernard Muller, chercheur dont les travaux se situent à mi-chemin entre Art et Ethnologie.
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
De prime abord, les photographies sont sommaires, le cadre également. Toujours le même format, la même démarche. Ils se « démarquent, une fois de plus, d’une pratique orthodoxe de l’image documentaire. Le fond blanc qui élimine toute référence au contexte, la mise en scène de tableaux, minimale mais ostensible, la systématisation du protocole de prise de vue avec ses cadrages frontaux, sa lumière constante et uniforme, une certaine théâtralité de la composition et des attitudes, sont autant de choix esthétiques qui situent ces images dans le champ d’une pratique d’auteur qui s’inscrit dans la suite de In the American West ( Visages de l’Ouest) de Richard Avedon et peut-être plus précisément encore Worlds in a small room d’Irvin Penn. » Explique Jean-Christian Fleury. Une austérité qui peut pousser le lecteur à clore le livre, mais celui-ci passerait à coté d’une découverte fascinante : le vodoo, l’évangélisme, l’Afrique en quelque sorte.
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
Les clichés des cultes vodoo ont été réalisés lors du Festival des « Divinités Noires » au Togo en décembre 2011. En effet, cette pratique, originaire d’Afrique de l’ouest, est toujours très répandue dans ce pays. Les Chérubins Séraphins et les Chrétiens Célestes, quant à eux, ont été pris au Bénin en janvier 2012. Mais aucun élément dans ces clichés ne permet de les situer, seul le titre est une puce à l’oreille du lecteur. Seul l’instant de la prise de vue compte.
Les séries sont organisées par chapitre. Les noms sont évocateurs et introduisent l’apparat de ces femmes et hommes qui posent avec élégance et gravité. Des attributs religieux changeant au rythme des cultures, des pratiques, des rituels…
Pour commencer, La force de l’océan, prise au Togo en 2011. Puis, L’appel de la forêt sacrée, également au Togo la même année avec Les maitres du couteau. Enfin, La musique des anges, au Benin en 2012.
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
Seuls deux textes viennent ponctuer ces séries photographiques, mais ils endossent la charge d’injecter du sens à la lecture. Le premier aborde les adeptes du Goro vodoo, des « divinités issues du nord Ghana » explique Bernard Muller, et du Tchamba « dont le culte évoque la mémoire des hommes achetés comme esclaves » ajoute-t-il. « Lors de leur performances, sur les rythmes saccadés des typiques percussions blékété, les adeptes deviennent des personnages dont le nom ou le caractère se retrouve d’un groupe à l’autre », « parfois burlesques, les adeptes jouent simultanément la parodie et la terreur, ils veulent provoquer un état à cheval entre le rire et la peur », « par la transe, l’adepte devient l’esclave par excellence : il est « chevauché » par une entité dont il tient mais qui n’est pas tout à fait lui, aux marches de l’identité et à la confluence des temporalités. La cérémonie se balance sur le fil qui se tend entre la réalité et l’imaginaire : ainsi, s’ils feignent de se poignarder, c’est bien pour rappeler la manière dont ils sont morts. Et s’ils semblent insensibles aux coups, c’est qu’ils ne sont pas tout à fait là, en chair et en os : ce sont des images vivantes. » Des explication de Bernard Muller qui au-delà d’illustrer ces clichés, les explique.
Tout paraît évident, depuis leurs costumes jusqu’aux couteaux, en passant par une corde attachée à leur cou rappelant la condition humaine, ou inhumaine, des esclaves d'antan, voir d’aujourd’hui…
Dans un second temps le livre aborde les évangélistes. Ces mouvements du protestantisme ont une orientation plutôt « conservatrice » et « « protestent contre » une manière d’adorer Dieu ». En effet, « La présence des évangélistes en République du Bénin est pour l’essentiel récente, le protestantisme lui-même ne s’étant implanté que dans les années 1862 dans la région de Porto-Novo d’ou il partira à la conquête des autres régions du pays. Viendra à sa suite ce que Kissoe décrit comme : « la kyrielle des sectes chrétiennes dont la plus influente est l’Eglise du Christianisme Céleste, née sur place en 1947 » » Explique Joseph C E Adande, de l’Université d’Abomey-Calavi. Il offre au lecteur quelques éléments clefs de lecture, dont l’importance de « la vêture » chez les Christianistes Célestes. « Les grades dans l’Eglise du Christianisme Céleste se lisent à travers un certain nombre de vêtements supplémentaires car les Christianistes Célestes ont des charismes, des dons : ils peuvent êtres visionnaires, guérisseurs, exorcistes ou combattants des forces du mal, prêcheurs aussi. Chacune de ses fonctions exercée au bénéfice des fidèles et qui ne vous procure aucun gain matériel se lit à travers le vêtement, la couleur des vêtements et leur parure ». C’est le cas de ces prêtres et enfants de choeur qui posent devant le couple de photographes.
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
© Dany Leriche et Jean Michel Fickinger
Toutes ces informations en main, il est possible de comprendre chaque communauté, d’interpréter les couleurs, les parures, les postures des 96 pages. Un voile se lève sur les religions de ces deux pays. Sur ces Hommes au panache certain. Sur ce portrait d’une femme vêtue de blanc, un collier au cou, le regard fier, coiffé d’un tissu africain et dont le maquillage n’est plus angoissant mais passionnant.
La peur de l’inconnu dépassée, le lecteur découvre un travail d'anthropologue qui répertorie et s'attache à chacun de ses modèles. Ils travaillent près des gens, presque dans le rayonnement de leur émanation, ne changent pas le mode de fonctionnement, et ainsi mettent en avant leurs similitudes et différences. Il en ressort une identité culturelle sur fond blanc. Une encyclopédie narrée par deux griots africains.
Laura Kotelnikoff Béart
Divinités Noires
Photographies de Dany Leriche et Jean Michel Fickinger.
Textes de Joseph Adande, Jean-Christian Fleury, Jean Hurpy et Bernard Müller.
Coédition Graines de Pensées / La maison d’été
http://www.lamaisondete.fr/products-page/la-maison-dete/divinites/">http://www.lamaisondete.fr/products-page/la-maison-dete/divinites/
96 pages couleurs
Format 22 x 28 cm
30€