Véritable trésor patrimonial, Jérusalem et la Palestine des éditions Hazan est une machine à remonter le temps qui offre une totale immersion au cœur d'une Palestine oubliée. Avec ses 200 vues tirées du fond unique de photographies des archives du couvent Saint-Etienne de Jérusalem, il raconte la ville sainte comme il en fut rarement donné l'occasion. Enrichi d'interventions d'experts sur le sujet et pour la plupart palestiniens, il aborde les fondamentaux sur les successives métamorphoses qu'à connu la Palestine et sa capitale dans les débuts du 20eme siècle. Avec une approche à la fois historique et socio-ethnographique, son angle de visée est double. D'une part le pays et la ville, leurs changements successifs et leurs conjonctures en un temps donné de l'Histoire. De l'autre, l'introduction de la photographie comme support d'archive et déjà pour l'époque, témoin des grandes mutations de ce monde.
L'ouvrage alterne entre portfolio et corpus d'écrits, qui eux même alternent entre histoire de la région et questionnement sur la place et le rôle de la photographie. Faisant le point en un moment crucial où, de part et d'autre, la Palestine tout comme la photographie, amorçait un tournant majeur de leur condition. Il met en perspective un phénomène plus qu’intéressant : tandis que la photo s'imposait comme moyen de geler le temps et l'espace, Jérusalem et la Palestine commençaient une transformation jusque alors encore en mutation. Une ambivalence complexe qu'Elias Sanbar, coordinateur et directeur du projet, a su manier avec une grande habilité, donnant tous son sens à l'ouvrage.
Questions de photographie
C'est par la question « Photographier la ville Sainte ? » qu'Elias Sanbar (ambassadeur et délégué permanent de la Palestine auprès de l'Unesco) amorce le travail de réflexion. En effet, pour l'époque, elle constituait une véritable preuve objective et permettait en ces temps de premières explorations de donner à « voir de nos yeux ce que les prophètes ont vu des leurs ». Faisant référence à la curiosité intemporelle que génère Jérusalem dans l'inconscient collectif, il précise que la question de « l'illustration de la terre sainte » a toujours plus ou moins existé, à des fins d'exploration et de conquête comme de simples compréhensions. C'est donc un sujet délicat et une question pertinente qui sont traités ici, d'autant que la totalité des images furent prises par les pères dominicains et furent conservés durant des années dans les archives d'un couvent français à Jérusalem. Le caractère d'ingérence y tient de facto une place très importante.
Grace à un travail de (re)-contextualisation et de repositionnement véritablement conséquent, il devient évident et très instructif d'appréhender les clichés présentés. Ils renseignent sur les codes socio-culturels en vigueur, au déroulé des époques et des autorités en présences. De sa période ottomane à sa domination occidentale et notamment Britannique, les mœurs, us et coutumes se sont transformés, les paysages et l'architecture également. Les clichés révèlent et témoignent de ces changements et s'en acquérir peut provoquer de vives émotions au vu du siècle écoulé et de l'histoire qu'il lui a été imposée.
Une dernière partie essentiellement consacrée à l'étude du fond photographique du couvent Saint Etienne et à l'approche qu'ont eu les pères-photographes de cette première ère photographique, renseigne de façon considérable et répond pleinement au questionnement présenté dans l'introduction de E. Sanbar. Jean-Michel de Tarragon y explique comment ces précieux témoignages ont pu être récupérés, et détaille le long processus de numérisation qui a dû être effectué pour rendre possible la présentation de ces clichés précaires. Ne traversant pas le temps de façon indéfini, il est rapidement rendu compte qu'il est un vrai privilège de tourner les pages de cette édition au contenu historique incomparable. Il raconte qu'en premier lieu, ces photos plutôt considérées comme nouveau moyen d'estampiller, n'étaient pas destinées à être vues par un large public et que de ce fait, la nature périssable de leurs supports n'a pas tout de suite été prise en considération. Il apparaît que les images n'étaient pas signées ni même datées, et qu'il fallut procéder à une enquête de grande envergure pour les replacer et les ré-attribuer à leurs potentiels auteurs.
Il parle des moyens utilisés en ce début de XX eme siècle, et décrit avec une grande précision les appareils lourds et fastidieux d'utilisation avec lesquels ces premiers reporters travaillaient. Il raconte leurs démarches, devine leurs positions et suppose leurs intentions et possibilités en fonction des époques. Citant par exemple que c'est véritablement sous le mandat Britannique qu'il leur a été donné l'opportunité de photographier les sanctuaires musulmans jusqu'alors inaccessibles. Sans jamais décrocher de la question éthique que ces informations soulèvent, il replace une situation d'ingérence et revient interroger sur la place et le rôle de l'observateur.
L'ouvrage se destine à tenir lieu de référence sur l'histoire de la Palestine, et plus précisément la « Ville Sainte », prenant un vif intérêt en ces temps de conflits. Avec un siècle de recul, aussi bien pour cette région du monde que pour la photographie et ses dévoués, il est difficile de ne pas porter la réflexion sur les questions que ces sujets soulèvent aujourd'hui. D'abord et évidement, quel devenir pour Jérusalem et la Palestine, quel devenir pour la Palestine et Israël ? Puis de façon plus large, quelle mission, quel statut et quel devenir pour le reporter photographe aujourd'hui, soumis à la censure, voire pire, trop souvent utilisé comme moyen de pression dans ces régions de conflits telle que l'est Jérusalem aujourd'hui ?
Sylvia Ceccato
Jérusalem et la Palestine
Hazan
384 pages
250x280 mm
39 €