© Edward Burtynsky
Quatre ans de travail, neuf pays, la mobilisation d’un grand nombre de personnes et de moyens, le tout, au service de cinq séries de clichés : Détresse, Maitrise, Agriculture, Aquaculture, Front d’eau et Source. Edward Burtynsky a voyagé au Mexique, en Colombie-Britannique, à travers les Etats-Unis, l’Inde, la Chine, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Islande pour donner forme à ce témoignage, cet état des lieux liquide de la planète : Water. Il offre aux lecteurs « Quelques-unes des photographies les plus poétiques et les plus abstraites de toute ma carrière », dit-il.
L’idée d’un travail sur l’eau débute en 2007 en Australie « le premier continent de notre ère qui ait commencé à s’assécher » explique Burtynsky. Ce qui semble être une simple anecdote narrée par un photojournaliste est en réalité l’étincelle de plusieurs années de travail. Il rapporte l’histoire se déroulant dans un bar à Adelaïde, le photojournaliste « avait commandé une bière et un verre d’eau, bu sa bière et payé l’addiction, et s’apprêtait à partir lorsque le serveur l’arrêta et lui enjoint de finir son verre d’eau. L’eau prit soudain une nouvelle signification à mes yeux, ajoute-t-il. Je compris qu’à la différence du pétrole, elle était absolument essentielle. Sans elle, nous péririons. ». Cette prise de conscience le pousse à témoigner. Dès lors, il parcours les quatre coins de la planète et constitue ce livre. S’il débute en photographiant « L’histoire de l’eau, le cycle complet parcouru dans les toutes premières pages », il ne s’arrête pas là, « le projet de Burtynsky est plus nuancé et moins didactique. Son ambition est, comme D.H. Lawrence, de poser la question, de nous amener à réfléchir à l’ampleur du sujet » explique Russell Lord.
Pour atteindre son but, ses shootings se font dans un autre des six éléments : l’Air. En effet, « Grâce à ces divers procédés, je pus voir le monde comme les artistes d’autrefois ne l’avaient jamais vu. En outre, l’évolution des appareils numériques à haute résolution m’a permis de prendre d’avion en vol des photos nettes et précises, ce qui était difficilement réalisable avec les anciens appareils à pellicule. » Confit-il. Mais surtout, il avoue « je me fiais à mon intuition ». Ainsi, durant les 228 pages du livre, il ne cesse de « jouer avec le champ visuel, de le basculer en haut ou en bas, brouillant ou abolissant toute trace d’horizon » ajoute Russell Lord. Une sensation ressentie face aux clichés de jets d’eau effaçant d’un coup d’un seul tous autres éléments naturels, aux photographies de crop circle dans le désert, réalisés pour l’agriculture et celles des déchets flottants.
© Edward Burtynsky
L’artiste propose, après Oil, son projet « le plus ambigu à ce jour. Si l’histoire de l’eau revêt indéniablement une signification écologique, Burtynsky tient d’avantage à présenter les faits bruts qu’à porter un jugement sur la société. En se concentrant sur toutes les facettes du rapport de l’humanité à l’eau, Burtynsky donne un témoignage vierge de commentaire » estime Russell Lord. Mais « C’est précisément cette tension, le fossé entre nos sentiments que ces images offrent, quelque chose à glaner et notre incapacité à déterminer quoi, qui donne à ce projet son poids » renchérit-il.
Néanmoins, Burtynsky lui-même explique que « Notre puissance accrue sur la planète est aussi capable d’entrainer notre propre disparition. Il faut que nous apprenions dès maintenant à réfléchir aux conséquences à long terme de notre action. Mon espoir est que ces photographies contribuent à cette prise de conscience autour d’une ressource essentielle à notre survie que nous tenons acquises- jusqu’à ce qu’elle disparaisse. »
Et la série de clichés ouvrant le livre en est la plus belle preuve, le Golf de Mexico, des chalutiers et une mer dévastée par le pétrole, défigurée. Les photographies alternent beauté de la nature et carnage humain, parfois au sein d’un même cliché. Une distorsion mettant en avant, avec plus de force, cet égorgement perpétué chaque jour par l’homme. L’élégance des formes, l’harmonie des couleurs, la perfection de la nature, enlaidie par l’activité humaine, l’industrie pétrolière, portuaire, agricole, les habitations, les constructions et surtout la destruction. Peu importe l’endroit et le temps, si les Hommes sont égaux c’est bien dans cette meurtrissure, cette altération de la nature.
© Edward Burtynsky
De plus, le texte de Wade Davis, anthropologiste et ethnobotaniste, introduisant le livre, est la preuve d’un certain militantisme. Celui-ci explique que « Les différentes civilisations ont révéré l’eau non seulement comme source de l’existence mais aussi parce qu’elle est à l’évidence un bien rare et essentiel à la survie des peuples ». Or, « Par l’un des inexplicables tours de folie de ce temps, nous avons au siècle dernier complètement oublié ou méprisé la sagesse de nos ancêtres qui, tout au long de l’histoire humaine, ont tenu l’eau pour don divin ». En effet, « Il y a encore un siècle les déchets qui obstruent les cours d’eau en Asie et forment des îles flottantes dans les océans, visibles de l’espace, n’existaient pas, non plus que les fertilisants et les produits chimique qui empoisonnent les rivières et étouffent les lacs en suscitant la croissance d’algues et de plancton ».
Finalement, « Un siècle de négligences et de folies a légué à notre génération une crise d’une ampleur impressionnante. Plus d’un milliard de personnes dans le monde sont dépourvues d’un accès à l’eau potable. Simplement pour étancher leur soif, il leur faut risquer leurs vies et celles de leurs enfants » et « Le plus inquiétant est le laps de temps au cours duquel cette crise mondiale s’est faite jour ».
Le texte de Wade Davis donne une voix aux photographies de Burtynsky, et celui de Russell Lord multiplie les preuves. Tous trois ne sont point dans le jugement mais l’amertume qui reste en bouche après avoir clôt le livre impose une prise de conscience : « il est temps de substituer au vocabulaire des « droits sur l’eau » celui des obligations envers cette ressource » insiste Wade Davis.
Laura Kotelnikoff Béart
Water
Edward Burtynsky
Edition STEIDL LUXE
228 pages
37,2 x 29,4 x 3,2 cm
83,60 €