© Jeff Wall
Né à Vancouver en 1946, Jeff Wall est probablement l'artiste contemporain le plus réputé de son pays natal. Il étudie l'histoire de l'art à l’université British Colombia. Parallèlement, il s'essaye à toutes les formes d'art : peinture, sculptures, installations,etc. Après avoir réalisé une thèse sur le mouvement dada, il devient enseignant. Nombreux sont ceux qui ont eu vent de l'histoire de son voyage en Europe. Il y découvre l'oeuvre de Velasquez et admire la réflexion dont elle est porteuse.
Lorsque Jeff Wall s'initie à la photographie, il s'y donne entièrement. Son œuvre est monumentale, à l'image des grandes toiles académiques d'antan. Ses grands formats sont ensuite montés sur des caissons lumineux. Son art est au coeur d'une réflexion constante sur la « Peinture de la vie moderne ». En effet, Jeff Wall fonctionne régulièrement selon un principe d'adaptation. Il s'inspire de toiles célèbres des grands peintres d'autrefois : Manet, Delacroix ou encore le maître japonnais Hokusai. L'artiste adapte ces classiques à l’ère du temps, menant ainsi une réflexion sur l'évolution de l'art, et à travers lui, sur l’évolution de la société. Il orchestre savamment chacune de ses œuvres avec la rigueur d'un metteur en scène. Photographe, mais universitaire et chercheur avant tout, Jeff Wall est l'auteur d'un grand nombre de textes critiques et théoriques au sujet de sa propre production.
© Jeff Wall
L'historien et critique d'art français Jean-François Chevrier présente une sorte de « biographie intellectuelle » de l'artiste dans un ouvrage sobrement intitulé Jeff Wall, paru aux Editions Hazan. Dans cette édition au format moyen (19,5 x 22,5 cm) mais volumineux (479 pages), il contextualise et analyse l'oeuvre de l'artiste canadien et présente le cheminement de sa pensée. L'ouvrage ne possède pas moins de vingt deux chapitres chacun lié à un sujet de réflexion particulier: la « Phénoménologie de l'aliénation », le « Double et dédoublement », « Le regard, la lumière », ou encore « Le tableau instantané ».
Chacune des sections est organisée selon un même modèle : Elle s'ouvre sur une photographie de Jeff Wall suivie par un propos de 5 à 10 pages de Jean-François Chevrier, puis se termine sur quelques pages d'illustrations supplémentaires ( travaux de l'artiste ou peintures dont il s'est inspiré) de formats très variés, entrecoupées de citations de Jeff Wall lui-même.
© Jeff Wall
Dans le chapitre « L'opérateur » , Jean-François Chevrier commente la fameuse Picture for women (Tableau pour les femmes, 1979), une adaptation modernisée de la célèbre peinture d'Edouard Manet, Un bar aux Folies Bergère, réalisée entre 1881 et 1882. Une femme, légèrement appuyée contre une table au premier plan, apparaît sur la gauche de la composition. Derrière elle un grand miroir dévoile les coulisses de cette représentation : un appareil photo monté sur pied, figure centrale du cliché, et à sa droite, le photographe actionnant le déclencheur. Cette œuvre implique une profonde réflexion sur l'évolution du rapport au geste dans l'acte artistique. Jean-François Chevrier explique ce parallèle établit par Jeff Wall entre peinture et photographie : « Le geste du photographe est réduit et distant. Ce n'est pas l'action directe du peintre, bras armé d'un pinceau... : le photographe ne touche ni le modèle, ni la surface du tableau, il actionne un déclencheur. » Il cite ensuite un texte de l'artiste, Gestus, véritable éloge d'un art révolu: « Le côté cérémonieux, l'énergie et la volupté des gestes de l'art baroque sont remplacés, dans la modernité, par des mouvements mécaniques, des réflexes, des réactions involontaires et compulsives. »
Jeff Wall est certes, un ouvrage intellectuel destiné aux universitaires et autres érudits, mais il ne fait aucun doute que l'oeuvre plastique et théorique du photographe canadien présente un intérêt indéniable et mérite le détour. Armez vous donc de patience et avant tout de passion.
Ismène Bouatouch
Jeff Wall, Jean-François Chevrier
Editions Hazan
479 pages
19,5 x 22,5 cm
29 €