Portrait d'une femme portant un brassard
Le Mémorial de la Shoah présente sa toute première exposition entièrement consacrée à la photographie de ghettos. Regards sur les ghettos réunit plus de 500 clichés, en noir et blanc et en couleurs, réalisés entre 1940 et 1944. La richesse de ces fonds réside dans la pluralité de points de vues qu'ils offrent au public. Ils réunissent œuvres de photographes juifs, de soldats allemands et images de propagande nazie.
En préambule aux photographies, trois textes sont donnés à lire au public, afin de l'aider à mieux appréhender les images. Daniel Blatman, commissaire scientifique de l'exposition, est un spécialiste reconnu des ghettos. Il renseigne le public sur les ghettos et régions auxquels ils appartiennent. Judith Cohen fournit au visiteur des informations sur les photographes juifs. « Les photographies prisent par les juifs relèvent de deux catégories », écrit la directrice de la Section photographique au Musée du Mémorial de la Shoah à Washington, « La première est composée d'instantanés familiaux. Dans les ghettos, les Juifs prenaient des photos pour les mêmes raisons qui incitent tout un chacun à en prendre aujourd'hui ...Un second groupe allait bien au-delà de la description de vie familiale et sont devenus intentionnellement des documents illustrés de l'histoire de la Shoah ». Enfin, Daniel Uziel s'exprime sur les photographies de propagande prises pour décrire « la vie prétendument dégénérée des Juifs ».
Ghetto de Kutno
Les clichés sont présentés selon une organisation efficace: ils sont classés par région et par photographe. Ainsi, le public découvre les images des ghettos de Lotz, Varsovie et autres régions, immortalisés par des Juifs (Mendel Grossman, Henryk Ross, Georges Kadish), des amateurs allemands (Willy Georg, Heinrich Jost, Hugo Jaeger...) et des photographes au service de la propagande nazie.
Regards sur les ghettos ne comporte aucuns tirages originaux. L'exposition présente uniquement des impressions sur grandes plaques transparentes. Ces reproductions renseignent sur toutes les facettes de la vie dans les ghettos. Elles mettent en scène les rues, les habitats, le travail mais aussi l'horreur : la mendicité, la famine, la maigreur, la faiblesse, la maltraitance et l'inévitable mort. Plusieurs de ces photographies sont si poignantes qu'elles en sont dérangeantes : la déchirure d'une mère séparée de son enfant, un bambin gisant dans la rue tant la faim le tétanise, les cadavres rachitiques empilés dans des fosses comme des animaux.
© Hans Biebow
Des phrases, témoignages, bribes de journaux intimes sont constamment consignés sous les photographies, accentuant la véracité des images. Chaim A. Kaplan écrivait en 1940 : « Ici, c'est un cimetière...dans les allées duquel se promènent des squelettes de morts.Cinq cent mille chômeurs, sans moyen de subsistance, dans les yeux desquels se reflète encore la peur des terribles expériences qu'ils ont vécues, humiliés et spoliés, nus et affamés, frappés et blessés. Objets d'abominables tragédies, ils s'entassent et se pressent sur le trottoir jusqu'à ce qu'il n'y ait plus la place de passer. »
Il est important de souligner l'extrême valeur des photographies prises clandestinement par des Juifs au sein des ghettos. Ces photographes dissimulaient minutieusement les documents dans l'espoir qu'ils soient retrouvés un jour et puissent servir l'histoire. « En confrontant ces images aux photographies de propagande ou aux clichés pris par des photographes amateurs allemands, une autre histoire de la vie des ghettos s'écrit », affirme Daniel Blatman. Ces clichés « montrent les dernières heures de la vie d'un peuple ».
Juifs du ghetto de Lodz, adieu à leurs familles
Regards sur les ghettos offre un nouveau point de vue sur l'histoire de la Shoah et rappelle de nouveau au public, quelque chose qu'il se doit de ne jamais oublier : la monstruosité dont l'homme fut un jour capable.
L'exposition est présentée au Memorial de la Shoah jusqu'au 28 septempre 2014.
Ismène Bouatouch
Scène de rue dans le ghetto de Lodz