Anders Petersen. Paris. 2006 © Anders Petersen. Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie
La Bibliothèque Nationale de France s'immerge dans le monde mystérieux d'Anders Petersen avec une exposition-voyage de trois cent trente clichés, offrant au public une plaisante traversée de la carrière du photographe suédois.
Anders Petersen naît en 1944 à Stockholm, en Suède. A l'âge de 17 ans, il hésite encore entre la pratique de l'écriture et l'exercice de la peinture. Il embrasse finalement une carrière de photographe en intégrant, en 1966, la School of Photography de Stockholm. Durant ses années d'étude, il entretient une relation privilégiée avec Christer Strömholm, son professeur et également, confie-t-il, son ami. « You have to go to bed with your camera » (« tu dois dormir avec ton appareil ») lui dit un jour son mentor. « I literally did it » ( « Je l'ai fait, littéralement »), confesse l'artiste.
Anders Petersen. Close Distance. 2002 © Anders Petersen. Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie
Les clichés d'Anders Petersen revêtent petits et grands formats au cœur de l'exposition. Ses séries sont généralement présentées en un seul et imposant panneau rappelant leur état initial, celui de la planche contact. Lorsqu'il consacre un pan de mur à ce qu'il appelle les « single pictures » (les images ne s'intégrant à aucune série), il dispose ces dernières ça et là dans une douce anarchie.
L'intégralité de son œuvre est en noir et blanc. Pourquoi ? A cette question, il répond avec poésie : « Sometimes I feel like there are more colours in black and white pictures » (Parfois, j'ai l'impression qu'il y a plus de couleurs dans les images en noir et blanc »).
Comme tout voyage réserve son lot d'imprévus, quelques surprises agrémentent la traversée du visiteur. Ainsi, au hasard de son parcours, celui-ci découvre une citation de l'artiste consignée dans un recoin, un meuble présentant quelques unes de ses planches contacts, et enfin une vidéo dans laquelle il se confie sur sa vie, sa carrière, son processus créatif.
Comme s'il désirait défier le temps, le photographe présente son travail au spectateur à l'image d'un « retour en arrière ». Ainsi, plutôt que de suivre le cours chronologique de son oeuvre, le public découvre en premier lieu la toute dernière série d'Anders Petersen : Roma (2012). Puis, City Diary (2012), Soho (2011), Close distance (2002), etc... se déploient tour à tour sur les murs de la longue salle d'exposition de la BNF, devenue pour l'occasion un « couloir du temps ».
Anders Petersen. Café Lehmitz. 1970 © Anders Petersen. Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie
La série Café Lehmitz vient clore l'agréable escapade du public. Entre 1967 et 1970, Anders Petersen s'établit dans un café d'Hambourg. Il fréquente quotidiennement les habitués de ce bar à la clientèle étrange : désabusés, prostituées, alcooliques et autres non conformistes. C'est dans ce même établissement qu'il organise sa première exposition. L’artiste aligne sans prétention ses quelques centaines de photographies sur les murs abrupts du Café Lehmitz et déclare que tout marginal se reconnaissant sur l'une des images est en droit de la décrocher et de l’emmener avec soi. « It was a short and nice exhibition » (« c'était une courte et sympathique exposition »), déclare le photographe. Il précise : « I'm not just a thief stealing pictures from people. I try to give them back » (« Je ne suis pas juste un voleur dérobant les images des gens. J'essaye de leur donner en retour »).
Les marginaux, les âmes perdues, paraissent attirer ostensiblement l'objectif de l'artiste. Selon Anders Petersen, pour être photographe, « you have to be weak enough to feel, to suffer and to identify yourself to people » (vous devez être assez faibles pour ressentir, souffrir et vous identifier aux gens »). Mais, l'artiste nie s’intéresser exclusivement aux 'oiseaux blessés' : « I don't shoot just people who are suffering. It seems like it but it is not. I shoot everywhere, everyone » (« Je ne photographie pas uniquement les gens qui souffrent. On dirait mais ce n'est pas le cas. Je photographie partout, tout le monde »).
Anders Petersen. Close Distance. 2002 © Anders Petersen. Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie
Ce sont les êtres en général qui intéressent le photographe. Les êtres et non les Hommes, car l'animal l'inspire au même titre que l'humain. « One of the reasons that i started to take pictures is i like people » (« L'une des raisons pour lesquelles j'ai commencé à prendre des photos c'est que j'aime les gens »). Etre photographe est un prétexte, une occasion d'aller à la rencontre de l'autre, d'apprendre de lui et de lui apprendre en retour, de découvrir qui il est et ce qu'il pense. « Photography is not about photography » (« La photographie n'est pas à propos de la photographie »), énonce l'artiste, qui semble mieux correspondre, après réflexion, au qualificatif d'humaniste. « Photography is about belonging, being a part of... » (« La photographie, c'est à propos d'appartenir, de faire parti de... »). Il se remémore son incroyable expérience au Café Lehmitz : « it was like a little small family » (« C'était comme une petite famille »).
« I don't shoot so much » (« Je ne photographie pas tant que cela »), explique Anders Petersen, « mostly i talk » (« Je parle la plupart du temps »). « It's me meeting people in the street, presenting myself and saying i would love to take pictures of them. Sometimes i end up in their homes and i sleep there. Photography is about one thing. It's all about approach » (« C'est moi rencontrant des gens dans la rue, me présentant et leur disant que j'adorerai les prendre en photo. Parfois je termine chez eux et j'y dors. La photographie est à propos d'une seule chose. C'est entièrement à propos de l'approche »). Le photographe utilise un appareil photo discret ( Contax T3) afin de ne pas intimider ni effrayer ceux qu'il capture dans son objectif. Il désire que rien ne puisse se mettre entre lui et son sujet. Il ambitionne d'être au plus proche de lui, afin de parvenir au «magic moment », « when everything is possible, when everything is fantastic. After a while it's like you were one with the person you photograph » (moment magique, quand tout est possible, quand tout est fantastique. Après un temps, c'est comme si vous ne formiez qu'un seul avec la personne que vous photographiez »).
Anders Petersen. Close Distance. 2002 © Anders Petersen. Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie
Aller à la rencontre des individus, leur parler, apprendre à les connaître : cela pourrait donner au public le sentiment que l'oeuvre d'Anders Petersen fonctionne comme un documentaire. A cela, l'artiste répond : « it is close to documentary photos but it is not. I am not so interested in realty. It is between the reality and the dreams. » (C'est proche de la photographie documentaire mais cela n'en est pas. Je suis pas vraiment intéressé par la réalité. C'est entre la réalité et le rêve. »). L'artiste détaille avec une extrême aisance son processus de création : « I put the brain under a pillow then I use my heart, my intuition. You are not supposed to think too much in order to avoid the control. I believe in confusion » (« Je mets mon cerveau sous un oreiller puis j'utilise mon cœur, mon intuition. Vous n'êtes pas supposés trop penser pour parvenir à éviter tout contrôle. Je crois en la confusion »).
Suite à ce plongeon en plein cœur de l'œuvre d'Anders Petersen, il apparaît que le dessein de l'artiste ne soit pas de rendre compte d'une situation, ni de dresser le portrait esthétique d'une personne ou d'un groupe d'individus. L'artiste cherche à éviscérer les êtres, à intercepter un trait de personnalité, à capturer un morceau d'âme, une bribe d'émotion – qui rend curieux, qui intéresse, qui questionne. « It is more about questions than answers » (« C'est plus au sujet des questions plutôt que des réponses »), exprime le photographe. Il ne reste plus au public qu'à déchiffrer l'énigme.
Ismène Bouatouch
Anders Petersen. From Back Home. 2009 © Anders Petersen. Courtesy Galerie VU’ BnF, Estampes et photographie