© Davide Monteleone
Le lauréat de la 4e édition du Prix Carmignac Gestion, Davide Monteleone, expose une vingtaine de ses œuvres dans la magnifique chapelle de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris. Correspondant à Moscou pour l'agence Contrasto, le photographe italien partage sa vie, depuis 2003, entre son pays natal et la Russie, nation avec laquelle il dit entretenir dorénavant et pour toujours « un lien particulier ».
Cette année, le thème du Prix Carmignac Gestion pour le photojournalisme était la Tchétchénie. « Il collait donc parfaitement avec mon travail », confiait l'artiste à Actuphoto le 11 juillet dernier, « car je travaille en Russie depuis longtemps, je connais bien le pays, et j'avais déjà réalisé un reportage dans le Caucase et sur la région ».
La Fondation Carmignac, en parallèle à l'exposition, publie un ouvrage regroupant les travaux du lauréat. En préambule aux images, Marsha Gessen offre au lecteur quelques clés pour mieux comprendre l’œuvre de Davide Monteleone :
« Grozny (capitale de la Tchétchénie) est une ville de fantômes. Les fantômes de ceux qui sont morts ou ont disparu pendant la guerre », explique la journaliste russo-américaine. « Le seul fantôme qui n'est pas là, c'est celui de l'ancienne Grozny, celle d'avant-guerre, celui d'une capitale provinciale florissante aux aspirations cosmopolites. Les guerres furent trop longues et trop brutales pour laisser une quelconque trace de cette ville : au milieu des années 2000, c'était une terre brûlée, où il ne restait presque rien des anciens bâtiments et des anciens habitants de Grozny. La nouvelle ville est le centre doré d'une petite dictature islamique. Les visiteurs arrivent en voiture et sont accueillis par un panneau de quatre mètres de haut posté à flanc de colline sur lequel ils peuvent lire « RAMZAN, MERCI POUR GROZNY » ».
© Davide Monteleone
« Spasibo », « Merci » en russe, est d'ailleurs le titre attribué conjointement par l'artiste à son exposition et à l'ouvrage connexe. Cet intitulé agit sur le public comme un constant rappel de l'endoctrinement qu'à fait subir le président Ramzan Kadryov à la population tchétchène.
Deux longues palissades se dressent le long de la nef de la chapelle, formant un long et étroit couloir qui servira de présentoir aux photographies en noir et blanc. Le photojournaliste voit en ce couloir une métaphore de la Tchétchénie: un pays « étriqué », privé d'ouverture sur le reste du monde. L'une des palissades se consacre à la présentation de paysages, à l'exemple d'une incroyable vue sur la chaîne montagneuse du Caucase tchétchène depuis le pic du village de Kharachoi, à la frontière du Daghestan. L'autre, en revanche, illustre d'avantage de scènes de vie quotidienne. Ainsi, Davide Monteleone renseigne le public sur les activités et les coutumes du pays. Il immortalise un entrainement de lutte dans un gymnase (dont les murs sont couverts de grands portraits aux effigies d'Akhmad Kadryov, Vladimir Poutine et Ramzan Kadryov). Il capture l'image discrète d'une jeune fille priant dans l'unique madrasa (établissement d'enseignement dirigé par des religieux) de filles officielle de Tchétchénie et de Russie.
© Davide Monteleone
© Davide Monteleone
Une percée dans l'une des palissades mène le spectateur dans un lieu différent : un espace présentant des portraits à l'allure « plus officielle », comme le dit Davide Monteleone. Aux côtés de ces images, seuls clichés en couleurs de l'exposition, le public note la présence d'un petit écran sur lequel défilent les pages du comte Instagram du président Kadryov.
Le photographe a désigné deux images phares. Le tout premier cliché s'offrant à la vue du spectateur dépeint un ciel enfumé, capturé à la suite d'un feu d'artifice célébrant le 10e anniversaire du Jour de la Constitution. Davide Monteleone explique avoir choisi cette image pour toute l'ambiguité qu'elle porte : « Elle représente un moment de joie. Mais elle pourrait également être une image de guerre, illustrant un ciel d'après bombardement ».
Au bout du couloir photographique, au cœur du choeur de la chapelle, se dessine l'image de Rada, 14 ans, essayant une robe de mariée dessinée par sa sœur. L'artiste rassure son public : « elle ne va pas se marier. Le mariage d'enfants, courant autrefois en Tchétchénie, y est désormais interdit ». Si il a choisi ce cliché comme image centrale de son exposition, c'est pour faire référence à Grozny en tant que « ville de fantômes », comme le relatent les propos de Marsha Gessen cités plus haut. « Je trouve que cette jeune fille ressemble à un fantôme dans cette robe », constate l'artiste.
© Davide Monteleone
« Spasibo » est un savant mélange entre images objectives et prises de positions subtiles. Les photographies de Davide Monteleone dévoilent une maîtrise technique accouplée à un grand sens esthétique. Tout amateur d'art et d'histoire est désormais prévenu : il ne vous faut certainement pas manquer cette exposition.
Ismène Bouatouch