© Bruno Mouron et Pascal Rostain
Bruno Mouron et Pascal Rostain : ces deux noms sont devenus indissociables au fil des années. Les photographes se rencontrent au sein de l'équipe de Paris Match. Après de nombreuses années de collaboration au cœur du magazine, ils fondent ensemble l'agence de presse Sphinx.
L'histoire de la genèse d'Autopsie, paru aux éditions de La Martinière, est aussi drôle qu'incongrue. Les deux énergumènes, un jour de l'année 1988, s'offrent un moment de franche rigolade en dérobant les poubelles du célèbre Serge Gainsbourg, le tout sous le regard amusé de ce dernier. Ils disposent ensuite méticuleusement les détritus volés sur un velours noir et donnent ainsi naissance à la première d'une longue série d'oeuvres d'art, réalisées suivant le même mode opératoire. En effet, stupéfaits par la manière dont les déchets du chanteurs de Comic Strip en disent long sur son mode de vie, les partenaires de crime décident de réitérer l'expérience.
Peu à peu, ce qui fut au premier abord une lubie passagère, devient un projet artistique durable.
Bruno Mouron et Pascal Rostain inspectent les poubelles des célébrités françaises et américaines (Brigitte Bardot, Cindy Crawford, Mick Jagger, Clint Eastwood..) avant de s'intéresser aux détritus de personnalités politiques (Arnold Schwarzenegger, Ronald Reagan) pour enfin étendre leur étude « rudologique » aux anonymes des quatre coins du monde.
Tahiti 2008 © Bruno Mouron et Pascal Rostain
Dans la préface de l'ouvrage, Jean-Paul Demoule rapproche le projet des deux artistes au Garbage Project, une étude réalisée quinze ans plus tôt par l'archéologue Bill Rathje. « Ce dernier, avec ses étudiants du département d'anthropologie de l'Arizona State University, avait collecté systématiquement pendant une année un échantillon représentatif des poubelles de la cité ».
Le Professeur de Protohistoire européenne à L'Institut universitaire de France va jusqu'à conférer à l'oeuvre de Bruno Mouron et Pascal Rostain une valeur archéologique : « l'archéologie, pour l'essentiel, fouille des poubelles. Elle fouille ce qui a été rejeté, abandonné, par les sociétés humaines, et non pas l'image immobilisée de sociétés vivantes. »
Jean-Paul Demoule a eu l'occasion de participer à la fouille du Déjeuner sous l'herbe en 2010, une performance de l'artiste Daniel Spoerri qui, en avril 1983, mis en terre les restes d'un banquet de cent convives (tables, couverts et détritus compris). « Ce fut un minutieux travail archéologique, qui nous renseignait sur les manières de table de l'époque..», raconte l'enseignant-chercheur. Ainsi, dans plusieurs décennies, Autopsie pourrait devenir une source essentielle révélant maintes choses de notre société actuelle. « L'importance du plastique est frappante ici, dans les poubelles des stars comme dans celles des anonymes, et les archéologues du futur qualifieront sans doute notre époque d' « Age du plastique ». Bruno Mouron et Pascal Rostain nous font voir en artistes de quelles matières est faite notre vie quotidienne et ce qu'il en subsistera, en principe.»
L'ouvrage au format portrait (28,5x36,5) rassemble 102 photographies en couleurs de ces planches de velours noirs sur lesquelles apparaissent, triés et parfaitement alignés, les contenus des poubelles de stars, politiciens, artistes et anonymes. Les clichés occupent pratiquement tous une quasi pleine page. Régulièrement, une planche est présentée sur le feuillet de droite tandis qu'un détail agrandi de celle-ci est reproduit à sa gauche. Les images d'Autopsie ne défilent pas dans un ordre chronologique mais sont réparties suivant trois thématiques.
Malawi 2009 © Bruno Mouron et Pascal Rostain
Le premier chapitre, « Territoires », recense les journaux, bouteilles d'eau, canettes de sodas et aliments divers jetés par des anonymes du monde entier. Sous les photographies, les légendes indiquent le nom du pays et l'année de la prise de vue. Parfois, des échantillons de déchets sont prélevés chez deux catégories sociales différentes au sein d'un même pays. Ainsi, la planche des Français défavorisés 2008 fait face à celle des Français aisés 2008.
La deuxième section de l'ouvrage dévoile l'intérieur des poubelles des « Célébrités ». Evidemment, les auteurs du livre ont retiré des planches tout objets exposant de trop près l'intimité de leurs propriétaires. Ils ont également pris soin de rendre illisibles toutes correspondances personnelles.
Le troisième et dernier volet est consacré au « Monde de l'art ». Comme dans la section précédente, les légendes précisent les noms des artistes producteurs des déchets, et l'année durant laquelle ont été pris les clichés. Au fil des images, le public découvre quelques détails mineurs au sujet de ceux dont ils admirent l'oeuvre : Daniel Buren possède une déchiqueteuse, Denis Oppenheim semble carburer à la théine, Julian Schnabel paraît boire plus qu'il ne mange pendant que Robert Rauschenberg lit consciencieusement The New-York Times.
Autoposie s'inscrit dans la longue histoire du Food Art : art qui représente ou met directement en scène la nourriture. L'aliment a tout d'abord intéressé les artistes de par son aspect périssable. De nombreux peintres se sont attelés à fixer sur leurs toiles des fruits en décomposition. Leurs tableaux avaient valeur de memento mori : cet éternel rappel de la brièveté du passage de l'homme sur terre. L'oeuvre d'Andy Warhol, elle, faisait office de constat : consommer est devenu un mode de vie. Avec Autopsie, le Food Art trouve un intérêt nouveau. Il se met au service des sciences sociales : « dis moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu es. »
Ismène Bouatouch
Autopsie, Bruno Mouron et Pascal Rostain
Editions de La Martinière
128 pages
28,5 x 36,5 cm
52 euros