© Martin Parr
Les éditions textuel publient Les non-conformistes de Martin Parr. Cet ouvrage au format idéal (24,6 x 21cm) remonte le temps et dévoile au lecteur les clichés de jeunesse du photographe. Le public est alors surpris tant il est difficile de retrouver dans ce livre photo, la patte de l'artiste aujourd'hui mondialement connu. Ses dernières publications, Luxe, Le Mélange des Genre, Life's beach présentent des images aux couleurs éclatantes marquées par le regard ironique et amusé de leur auteur. A l'inverse, Les non-conformistes se révèle être une véritable œuvre documentaire, empreinte de sérieux, et exclusivement composée de photographies en noir et blanc.
L'ouvrage résulte d'une réelle collaboration entre Martin Parr et Susie Parr, sa compagne. Les futurs époux se rencontrent à Manchester au début des années 1970. Il photographie, elle écrit. Alors âgé de 23 ans, l'artiste s'installe à Hebden Bridge, une petite ville du comté de Yorkshire près de laquelle avaient vécu ses grand parents. Susie Parr ne tarde pas à le rejoindre. Dans l'introduction de l'ouvrage, elle explique ce qui à leurs yeux, a fait l'attrait d'Hebden Bridge et de ses environs : « Hebden bridge incluait tout le nécessaire, en particulier une communauté active de « nouveaux venus »- de jeunes artistes réfugiées de Manchester et de Leeds en quête de modes de vie alternatifs et de logements bons marchés. Mais on y retrouvait aussi les traditions locales...Ces traditions étaient profondément enracinées : des gens qui étaient voisin et collègues depuis des décennies, des communautés soudées, des champs cultivés par les mêmes familles depuis des générations ; des gens qui se fréquentaient assidument ...»
A partir de 1975 et durant cinq années, le photographe et l'écrivain réalisent une étude de ces populations et de leurs activités : elle, écrivant sur les gens qu'ils rencontrent – lui, immortalisant leurs reflets.
© Martin Parr
Les non-conformistes est présenté d'une bien plus sobre manière que Life's a beach, mais malgré le noir et blanc de sa couverture, il arbore tout de même la touche de couleur propre à Martin Parr : des bordures jaunes vives et un cadre de la même couleur dans lequel sont modestement inscrits titre et nom de l'artiste. Parfois disposées en portraits, parfois en paysages, les images respectent toutes un format identique. L'agencement de l'ouvrage, très aéré, offre de multiples temps de respiration : de nombreuses pages demeurent vierges et des feuillets entiers sont consacrés à l'annonce des titres de chapitres. L'oeuvre est divisée en huit sections, intégrant l'introduction signée Susie Parr. Chacune de ces parties se focalise sur un objet d'étude plus ou moins défini: un bâtiment, une activité, toute une communauté, une ville entière. Certaines d'entre elles allient texte et images, d'autres se passent de mots pour se contenter des photographies.
Susie Parr conte la vie ouvrière des employés de « La compagnie charbonnière Cliviger ». Elle rappelle l'histoire et le quotidien difficile que vit « Le cinéma d'Hebden Bridge ». Elle commente l'activité de « L'usine d'eau minérale Lydgate ». Martin Parr, quant à lui, illustre les récits de sa partenaire et raconte de nouvelles histoires, cette fois par la simple force des images. Il accompagne des hommes dans leur partie de « Chasse à la Grouse » (un gibier très apprécié en Grande Bretagne). Il immortalise les intérieurs, les usines, les commerces et les rues du district de « Calderdale ». Le photographe documente également le quotidien des « Chapelles non-conformistes » (nom affecté aux chapelles méthodistes et baptistes qui sont nombreuses dans la région).
© Martin Parr
Le dernier chapitre, de loin le plus conséquent, résulte d'une année entière passée parmi les fidèles de la « Chapelle Méthodiste de Chrimsworth Dean ». Durant cette période, les Parr découvrent une communauté touchante (« Nous sommes devenus amis avec Charlie et Sarah Hannah, des gens doux et drôles, qui menaient quasiment la même vie que leurs grands parents »), dont l'étrange mode de vie force l'admiration. « En fait, Chrimsworth Dean semble avoir résisté à toutes les tentatives pour l'ouvrir sur le monde », raconte Susie Parr, « Les gens qui sont restés à Chrimsworth Dean pour perpétuer les traditions familiales liées à la ferme constituent une communauté soudée, habituée à travailler dur ». Le premier cliché du chapitre présente l'austère bâtiment autour duquel s'articule la vie entière des fidèles. Puis, un enchainement de récits et images renseignent le lecteur sur les grands évènements rythmant le quotidien de la chapelle méthodiste: le service hebdomadaire, l'école du dimanche, la fête de la moisson, les mariages et baptêmes...
Susie Parr clôt ce chapitre, et cet ouvrage par la même occasion, en donnant la parole aux habitants de Crimsworth Dean. Ces derniers s'y expriment sur l'avenir qu'il imaginent pour leur chapelle. Ainsi, Stanley Greenwood, fervent méthodiste, partage son sentiment : « J'espère qu'il y aura un avenir, car à mon avis la chapelle et l'école du dimanche jouent un rôle essentiel. Malgré tous leurs défauts, c'est une chose incomparable. C'est lié au souci et à l'amour d'autrui, et d'un point de vue spirituel, elle donne de la force à tous les membres de la communauté. C'est, ou ce devrait être, un lieu où l'on se sent bienvenu, où il y a de l'amitié et de la chaleur. »
L'objectif de Martin Parr, allié à la plume de sa compagne, donne naissance à un véritable journal de bord. Les époux y confinent le récit d'un voyage, le tumulte de rencontres qui semblent les avoir profondément touché, en tant qu'artistes comme en tant qu'humains. Les non-conformistes rappelle au lecteur à quel point images et mots forment une harmonieuse mélodie.
Ismène Bouatouch
Les non-conformistes, Martin Parr
Editions textuel
24,6 x 21cm
168 pages
35 euros