© Anders Petersen
Anders Petersen a su faire de ses photographies celles d'un monde à part, dont il est l'illustrateur, le témoin. Cet univers, le photographe l'a investi, pour mieux le comprendre. Une planète étrange rejetée du reste du monde et qui pourtant a suscité l'intérêt du photographe.
Né en Suède en 1944, Anders Petersen hésite longtemps entre une carrière de peintre et de journaliste, mais rejoindra finalement l'univers de la photographie, comme l'explique Christian Caujolle dans sa préface : « il ne sera ni peintre ni journaliste, il sera photographe. Mais il accepte, aujourd'hui, de considérer qu'il est un photographe à la fois peintre et journaliste. Parce qu'il se confronte au réel et l'expérimente pour mettre en forme les émotions qu'il lui procure. »
Stockhom, 1978 © Anders Petersen
Très vite, Anders Petersen se tourne vers ceux que la société rejette, les marginaux. En 1967, il part vivre à Hambourg et découvre le Café Lehmitz, qui deviendra son fief, et surtout son terrain photographique : « un bar où se retrouvent des habitants de ce quartier populaire, des prostituées, des paumés, des marginalisés qui constituent une chaleureuse famille d'exclus hors norme dans laquelle Anders Petersen se reconnaît et se retrouve » précise Christian Caujolle. Dès lors, la ligne artistique du photographe se dessine, et ne le quittera plus. Des instants volés, des moments du quotidien, il donne à voir ce que le public, finalement, lui, ne veut pas voir, ceux que la société rejette et qui n'y trouve pas sa place. Petersen offre une tribune à ces marginaux qui n'en ont habituellement pas. « Chaque univers clos, chaque monde qu'il se donne pour objet est, pour Anders Petersen, un résumé ou un condensé de la société, en tout cas un espace d'exploration qui fera sens, ou une manière de révélateur. La prison, l'hôpital psychiatrique, le café ou, aujourd'hui, les hommes dans leur solitude, sont simplement des cadres qu'il s'impose pour qu'il puisse, sans trop de souffrance, excercer son regard et lui donner un sens. Refusant de décrire le monde, gardant des traces émotionnelles ou poétiques des expériences qu'il s'est fixée, il propose que nous ayons simplement un regard empathique sur nos contemporains. »
ESPS (Enskede Skarpnäck Psychiatric Sector), Drevviken, Suède, 1995 © Anders Petersen
L'artiste manipule le noir et blanc avec brio, tout en donnant une perspective poignante à ses images grâce à son aptitude au cadrage. La vie tressaille dans les photographies d'Anders Petersen, elles semblent en mouvement, animées du souffle de l'artiste qui agit avec volupté sur son univers. La laideur de la vie parfois y est sublimée, montrée avec la ferveur propre au photographe. Des couples, des enfants, des solitaires, mais surtout des anonymes à qui Petersen donne une identité, comme un second souffle.
La collection Photo Poche d'Actes Sud, comme à son habitude, offre à son lecteur, dans son format modeste mais efficace (19 x 12,2 cm) une vue d'ensemble de l'oeuvre de Petersen. Cent quarante quatre pages, qui défilent sous les yeux d'un lecteur avide de voir de nouvelles images, mais qui s'en contentera de soixante-trois. Un bon début pour une collection à succès, pour une qualité d'impression qui ravit son public.
Rome, 2005 © Anders Petersen
Celui-ci pourrait être décontenancé par la désorganisation de l'ouvrage, puisqu'en effet, aucun repère ne lui ai donné, bien au contraire. Les photographies ne sont pas organisées de façon chronologique ou thématique, mais présentées de façon désordonnée : d'une photo de 1968, le lecteur découvrira une image de 1995, avant de revenir des années en arrière, en 1989. Ainsi, difficile ici de percevoir l'évolution de l'oeuvre de Petersen au fil du temps, ou d'avoir une appréciation globale d'une époque.
ENPS, Stockholm, 1993 © Anders Petersen
Mais qu'importe, car l'art de Petersen, à toutes les époques de sa création, est celle de la poétique de son art photographique, sublimer ce qu'il capte dans le viseur de son appareil.
Anders Petersen, collection Photo Poche, éditions Actes Sud
144 pages, 63 photographies
19 x 12,2 cm
13 euros
Claire Mayer