
En novembre 2012, le réalisateur et scénariste Sébastien Lifshitz sortait Les Invisibles, un documentaire sur des femmes et hommes nés dans l'entre-deux guerres qui avaient comme point commun de vivre leur homosexualité au grand jour. Ce documentaire a su surprendre son public en faisant témoigner des personnes âgées de 60 à 90 ans sur un sujet normalement abordé par la jeune génération: « Loin de l'image apaisée de la grand-mère gâteau et du grand-père qui va à la pêche, on découvre vite des hommes et des femmes dotés d'une parole libre, drôle et souvent crue. Ils sont actifs, engagés, ils ont des avis tranchés et ne sont pas forcément mesurés, ils parlent de sexualité, de désir, d'amour, toutes ces choses auxquelles on n'assimile pas la vieillesse. », http://www.telerama.fr/cinema/les-invisibles-trois-extraits-commentes-par-sebastien-lifshitz-realisateur,90071.php">rapporte au magazine Télérama.
Presque un an plus tard, le cinéaste revient à la source inspiratrice de son documentaire : une série de photographies d'anonymes dénichées aux puces, datant des années 1900 à 1960. Les éditions Hoëëëbeke publient un recueil de ces images, Les invisibles, et insufflent ainsi un second souffle à l'oeuvre filmée de Sébastien Lifshitz.
Un jour, lorsqu'il parcourt les puces de Vanves, le réalisateur se penche sur un vieil album photo. Ce dernier met en scène deux femmes dont la relation lui paraît ambiguë. Intrigué, il demande au brocanteur s'il possède d'autres albums. La réponse étant positive, le scénariste achète le tout et rentre chez lui inspecter ses trouvailles. Une chose le surprend immédiatement: à une époque censée être sombre et difficile pour les homosexuels, ces hommes et femmes semblent pourtant avoir vécu des relations heureuses voire assumées. « Par la suite, j'ai trouvé beaucoup d'autres images d'anonymes avec des traces d’homosexualité intime », se souvient Sébastien Lifshitz dans le texte qu'il a rédigé en introduction aux images de sa collection ; « C'était à chaque fois les mêmes témoignages de liberté et de bonheur.»
Les photographies rassemblées dans ce petit recueil (16x20,7cm) sont en noir et blanc, pour la plupart, et revêtent toutes sortes de formats. Elles défilent le long des pages sans texte ni légendes, laissant libre cours aux interprétations de chacun. Dans Les invisibles, l'homosexualité prend un sens très large: les clichés présentent des couples enlacés dont la relation amoureuse est flagrante, capturent des rapprochements ambigus, dressent les portraits d'hommes travestis en femmes et de femmes travesties en hommes. « Je n'ai jamais voulu limiter mes recherches à des photographies où l'homosexualité est certaine », commente le cinéaste, « Au contraire, j'ai étendu mon champ d'investigation vers toutes les formes de sa représentation.»
L'une des images montre deux femmes se tenant la main dans un parc, l'une dévisageant l'autre d'un air follement amoureux. Une autre présente deux hommes sur un banc public, l'un assis sur les genoux de l'autre. Un troisième cliché dépeint deux femmes habillées en costume et robe de mariée ; mise en scène comique ou véritable désir d'engagement ? Le choix appartient au lecteur.
L'ouvrage Les Invisibles, aborde l'homosexualité d'une manière sensiblement différente de celle du documentaire qui l'a précédé. Aucun texte, aucun commentaire, aucune légende ne viennent renseigner le spectateur sur les conditions de vie des homosexuels à un époque donnée. Les individus présentés sur ces photographies n'ont pas de nom, d'histoire, de revendication. Ces images sont tout simplement belles, divertissantes ; elles suscitent curiosité, amusement et légèreté.
Ismène Bouatouch
Les invisibles, Sebastien Lifshitz
Editions Hoëbeke
144 pages
16x20,7 cm
20 euros