© Marc Lavoine
Le bruit des sarcasmes court dans les rues de Paris: « Ah ces artistes multitâches », « Quel étalage de la vie parisienne » « Un manque de pudeur »… Les déclinaisons sont infinies. Le chanteur et acteur Marc Lavoine publie un livre de photographies avec le tumultueux auteur de Premières pressions à froid, le jet-setteur Cyrille Putman.
Mais les apparences pouvant être trompeuses, les éditions de la Martinière publient un 1er Rendez Vous, entre deux hommes, un 1er Rendez vous qui à la surprise de tous narre l’Alter plus que l’Ego.
En premier lieu, Marc Lavoine, l’homme, est un chanteur et acteur de renom ayant grandit dans la banlieue sud, près de Wissous. Au cours de sa jeunesse, il travaille à l'Olympia en tant qu'ouvreur lorsque se produit la révélation : la musique. Néanmoins, il commence sa carrière artistique comme acteur dans des rôles secondaires avant d’être révélé grâce à la chanson.
Toute sa carrière sera composée d’hésitations entre le cinéma et la chanson. Il joua pour certains des plus grands réalisateurs de l’hexagone dont, en 1994, Claude Chabrol pour L'Enfer, et donnera la réplique à de prestigieux acteurs français. Son rôle le plus connu restant celui d'Alex dans les trois volets du film Le coeur des hommes.
© Marc Lavoine
Ensuite, l’autre homme, Cyrille Putman fils du galeriste Jacques Putman et de la designer Andrée Putman. Le « premier punk de France » selon Libération en 1977. L’homme vit entre Londres, où il est batteur dans un groupe punk The Outpatients , il y côtoie Vivianne Westwood, les Sex Pistols… Et Paris, où il entame une carrière de pubard avant d’ouvrir la galerie Froment-Putman à Bastille, qu’il tiendra jusque sa rupture avec sa compagne, la fameuse Almine Rech. Enfin, il se lance dans le métier d’agent d’artistes avec Flux.
La rencontre de ces deux êtres appartenant à la sphère artistique semble de prime abord dépeindre la "upper classe". En effet, la « boite crânienne » du chanteur dévoile des clichés intimes qui pourraient manquer d’intérêt pour le lecteur, voir être carrément rédhibitoires, mais le dessein de ce livre est autre, c’est l’Autre. Il s’agit d’« un abécédaire utilisant le texte à dose homéopathique, des mots simples traitant du quotidien de tout un chacun ». Ainsi il y a beaucoup de soi, mais il s’agit d’un soi commun à tous. Après tout, le crédo de Rimbaud s’applique également aux artistes : « Je est un Autre ».
© Marc Lavoine
Lavoine et Putman, c’est la rencontre de la photographie et du texte, et les deux s’accordent comme paroles et musique, l’un ne va pas sans l’autre. La photographie en célibataire peut paraître mégalomaniaque puisque le livre débute par une suite d’autoportraits revisités sur un mode personnel, assaisonnés selon ses désirs. L’homme se photographie face au miroir, appareil à la main, s’inscrivant dans la tradition de Nadar, Ansel Adams, Edouard Boubat, Irvin Penn et bien d’autres. Puis à posteriori, finalise son œuvre à coup de pinceau, d’annotation, de collages, comme pour « boucler la boucle ».
De même, il réarrange une série de billets de banque, la plus petite unité de dollar américain, le billet d’un dollar créé en 1963. Lavoine détrône George Washington et nomme présidents d’autres personnalités clés, dont lui même. Mais ce chevalier de la Légion d'honneur ne pratique pas de renversement par ego trip, et c’est le rôle du texte que de l’expliquer. En ce qui concerne le Dollar, il n’y a « aucune dimension transgressive, il utilise comme medium universellement connu depuis les films policiers américains des années 1950 ». Il inverse un processus, parvient à « transformer une monnaie, avec toute la violence et l’arrogance qu’elle dégage, en un monde de gens admirables pour toutes sortes de raisons, une mise en avant de la vraie intelligence au détriment du pouvoir de l’argent. »
L’essence du livre est là, les clichés sont introduits au fil du texte, sous la forme de séries, et en temps voulu. La symphonie débute avec le A d’Adjani et se clôt avec le Z de Zoo. La partition est réglée de la sorte, dévoilant au fur et à mesure la vie de Marc Lavoine depuis son corpus de postérieurs jusque celui des ombres, en passant par la vierge Marie. Paris de jour ou de nuit. Sa femme la princesse Sarah Poniatowski qui fixe l’objectif avec ses Yeux Revolver. Ses enfants Yasmine, Roman, Milo ainsi que Simon. Ses amis et ses proches. Ses vacances… Des dizaines de polaroids, ou ersatz de polaroids, snobs pour les uns, poétiques pour les autres, mégalos ou humbles, mais toujours plein d’humanité.
© Marc Lavoine
A l ‘image d’un Marc Lavoine fidèle participant des concerts des Enfoirés depuis 1996, cet accompagnateur des jeunes autistes de l’hôpital de jour d’Antony qui réalise des interviews d’artistes pour le journal Le Papotin, Cyrille Putman le décrit comme étant l'homme des « trois S : sensibilité, simplicité et sincérité. ».
Il apparaît comme un récolteur du vivant, un témoin de son époque dont le « livre-objet » est un vade-mecum de l’essentiel, de l’inutile, de l’essentiellement inutile. Une forme de biographie, qui néanmoins ne s’apparente pas à la « recrudescence de livres de mémoires de tout acabit ». Il est là où personne ne l’attend avec ce « fruit de l’imagination de deux types rêvant le monde plus drôle, plus simple et plus ludique qu’ « en vrai », sans l’ombre d’une tentation de donner des leçons à Dieu sait qui, un simple échange où le désir retrouve ses lettres de noblesse ».
Après les Amours du dimanche, Marc Lavoine s’impose comme un photographe du dimanche tel que le décrit Dubuffet : « Je suis un peintre du dimanche pour qui tous les jours sont dimanche ». Si en janvier 2004, il reçut le prix de l'Artiste masculin francophone de l'année aux NRJ Music Awards, si actuellement le dernier opus du film Le coeur des hommes sort dans les salles, il se pourrait que cet artiste multitâches ait autant de succès en photographie qu’ailleurs…
Rendez-Vous, Marc Lavoine et Cyrille Putman
Editions de la Martinière
199 pages
26 x 20 cm
33,25 €
Laura Kotelnikoff Béart