Variante de la photographie de couverture de Vogue US, « Do you part for the Red Cross » (Soutenez la Croix-Rouge), 15 mars 1945 Impression jet d'encre sur papier Canson baryta tirage posthume (2012)
Erwin Blumenfeld au Jeu de Paume : une impressionnante rétrospective
« L'instant est tout, la vie n'est rien ! » Erwin Blumenfeld
Erwin Blumenfeld est né en 1897 à Berlin. Au départ photographe professionnel aux Pays-Bas, il part tenter sa chance en France, où il y émigre en 1936. Commence alors sa carrière de photographe de mode, et sa collaboration avec Verve et Vogue France. Mais en 1940, il est interné dans un camp en France à cause de ses origines. Il parviendra à s'enfuir, et à rejoindre les Etats-Unis en 1941 avec sa famille. Il y restera toute sa vie, et y construira sa carrière, sa renommée.
Le Jeu de Paume propose une rétrospective plus que complète de l'artiste, qui retrace sa carrière artistique dans toute son ampleur et surtout sous des angles inédits.
Blumenfeld s'est en effet distingué comme un photographe de mode, cher aux couvertures de Vogue et aux expérimentations photographiques. Mais pas seulement. Il était également un dessinateur de talent, portraitiste, photographe d'architecture, et a réalisé des nus qui ont marqué toute une époque.
Ainsi, l'exposition du Jeu de Paume, dans sa volonté de présenter un point de vue complet de la carrière de Blumenfeld, s'organise en plusieurs sections qui offrent un panorama impressionnant de son travail : « L'idée était de faire une exposition qui inclut tous les médiums avec lesquels il travaillait, excepté ses peintures. L'exposition inclut ses dessins, collages, portraits, photographies d'architecture et tout ce qui concerne sa carrière dans la mode. » confie Ute Eskildsen, commissaire de l'exposition d'Erwin Blumenfeld. Pour cette spécialiste de l'époque, ex-directrice adjointe et responsable des collections photographiques du musée Folkwanf d'Essen, en Allemagne, « le travail d'Erwin Blumenfeld est fascinant, et ce qui m'impressionne le plus est cette curiosité continue, il expérimentait sans cesse, ce que vous pouvez voir dans chaque partie de l'exposition. »
L'exposition s'ouvre sur ses dessins, montages et collages, exposés pour la première fois, et que le public découvre avec une grande curiosité. Qui aurait cru que derrière le célèbre photographe de mode Blumenfeld se cachait un dessinateur, artiste de talent superposant des images et des dessins, à la manière des surréalistes ? Ces dessins et collages ont été réalisés par l'artiste entre 1916 et 1933, avant son arrivée en France.
Erwin Blumenfeld, Homme agenouillé (avec tour), 1920
encre de Chine, aquarelle et collage sur papier
Collection Henry Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld
Erwin Blumenfeld
Charlie
1920
collage, encre, aquarelle et crayon sur papier
Collection Helaine et Yorick Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld
Une deuxième partie réunit les autoportraits de l'artiste, essentiels dans sa carrière, puisque les premières images de Blumenfeld ont été des autoportraits, alors qu'il n'était qu'écolier. De 1910 à la fin de sa vie, les autoportraits marqueront en effet son parcours : «Avec le motif du visage composite, souvent introduit dans des autoportraits, où le sujet apparaît à la fois de face et de profil, il a décliné tout au long de sa vie une grande idée qui est à la fois une invention dans l'esprit de l'amateur inventif et l'expression d'un éclatement de l'identité moderne » précise Ute Eskildsen.
Erwin Blumenfeld
Autoportrait
Paris, vers 1938
épreuve gélatino-argentique
Tirage tardif
Collection Helaine et Yorick Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld
La troisième partie de l'exposition regroupe les portraits de Blumenfeld, étape cruciale de son métier de photographe. Audrey Hepburn, Juliette Greco, Cecil Beaton et bien d'autres encore sont passés devant son objectif, son cadrage serré, son éclairage, des portraits marqués de l'empreinte de l'artiste.
Erwin Blumenfeld
Audrey Hepburn, actrice
New York, années 1950
épreuve gélatino-argentique
Tirage d'époque
Suisse, Collection particulière © The Estate of Erwin Blumenfeld
Mais aussi, les nus, les nus connus, comme les moins connus. Passion réputée de Blumenfeld, le nu est une exploration du corps féminin, ses formes, ses courbes artistiques. Les œuvres de Man Ray conquerront le cœur de Blumenfeld, et influenceront son goût non dissimulé pour les formes féminines.
Erwin Blumenfeld
In hoc signo vinces (par ce signe tu vaincras)
1967
épreuve gélatino-argentique
Tirage d'époque
Suisse, Collection particulière © The Estate of Erwin Blumenfeld
Erwin Blumenfeld
Marguerite von Sivers sur le toit du studio de Blumenfeld au 9, rue Delambre
Paris, 1937
épreuve gélatino-argentique
tirage d'époque
New York, Collection Yvette Blumenfeld Georges Deeton / Art+Commerce, Berlin, Gallery Kicken Berlin
© The Estate of Erwin Blumenfeld
Le Jeu de Paume promettait une rétrospective, une vraie, inédite, et le résultat est en effet de taille. Ce qui a fait la renommée de Blumenfeld, la photographie de mode, et surtout, ce qui est éminemment connu du public est présenté dans la dernière partie de l'exposition. Des photographies de mode, les couvertures de Vogue, bien sûr, mais aussi des vidéos inédites.
Erwin Blumenfeld
Robe verte, 1946
Impression jet d'encre sur papier canson baryta
Tirage posthume (2012)
Collection Henry Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld
Erwin Blumenfeld
Variante de la photographie parue dans Life Magazine et intitulée « The Picasso Girl » (la jeune femme Picasso) (modèle : Lisette)
vers 1941-1942
Impression jet d'encre sur papier canson baryta
Tirage posthume (2012)
Collection Henry Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld
La rétrospective d'Erwin Blumenfeld au Jeu de Paume permet, au-delà de revoir avec enchantement le talent d'un photographe de mode, de découvrir un univers que peu soupçonnaient. Un tour d'horizon large et bien mené d'un artiste phare du Xxe siècle, qui a marqué toute une génération de photographes, et continue, encore aujourd'hui, d'en inspirer plus d'un.
« Comme il ne me restait absolument aucune autre solution, je devins photographe. » Erwin Blumenfeld.
Claire Mayer
Echo de Natacha Nisic : une exposition qui résonne
Le musée du Jeu de Paume présente Echo de Natacha Nisic, une exposition qui lie agencements vidéos, installations sonores et arts plastiques. Natacha Nisic apparaît comme une artiste complète qui manie différents médiums avec aisance. « Je jongle, je passe d'une chose à l'autre, parce que le déploiement d'énergie n'est pas du tout le même et la durée pour faire les choses non plus, donc j'ai besoin d'avoir ces différents temps de travail. »
L'artiste naît à Grenoble en 1967. Elle entame des études de mathématiques avant d’intégrer l'Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. « Ensuite j'ai été à Berlin à la Deutsche Film und Fernseh Akademie » raconte-t-elle. Elle entre en résidence à la Villa Kujoyama puis à la Villa Médicis. Sa vie est faite de voyages : « j'ai habité de longues années à Berlin puis j'ai voyagé beaucoup au Japon suite à ma résidence à la Villa Kujoyama ».
L'exposition présentée au Jeu de Paume s'ouvre sur une première installation vidéo intitulée Catalogue de gestes. Plusieurs écrans diffusent en boucle des gestes du quotidien, plus particulièrement des gestes de mains : feuilleter un livre ou se nettoyer les ongles. «Les gestes de l'entrée ... je dirai que c'est notre façon d'apprivoiser le réel, de construire finalement, dans ce monde très fracturé » explique Natacha Nisic.
Natacha Nisic
Catalogue de gestes (extraits)
1995-...
Films super-8 numérisés, couleur
entre 1 min et 2 min 30 s chaque
Centre Pompidou, Paris
Musée national d'art moderne / Centre de création industrielle
Don de l'artiste
© Natacha Nisic 2013
« Fracture » et « résonance » semblent être les maîtres mots du travail de l'artiste : « dans l'ensemble des œuvres de l'exposition le thème est 'écho', c'est à dire qu'elles ont toutes comme une espèce de jeu de résonance les unes avec les autres ; même si esthétiquement elles proposent des voies différentes, ce sont toutes des récits d'une manière ou d'une autre et ces récits sont celui d'une fracture... On a à chaque fois une ligne entre une destruction et une forme de reconstruction. »
La seconde installation occupe à elle seule une salle entière, plongée dans le noir. Neufs écrans posés au sol sont devancés de quelques coussins, invitant le public à s'assoir et à contempler. Conversation avec Andrea relate l'histoire d'Andréa Kalff, une jeune bavaroise dont la vie bascule lorsque la célèbre chamane coréenne Kim Keum-hwa la choisit pour fille spirituelle. « La vie d'Andréa est une fracture dans la vie normale d'une jeune bavaroise qui, du jour au lendemain, se transforme en Chaman, un véritable séisme intérieur. » Sur les vidéos, Andréa raconte : la façon dont elle a été introduite à Kim Keum-hwa, l'impact qu'a eu cette rencontre sur sa vie. Les écrans présentent également des images de l'allemande dans l'accomplissement de divers rituels chamaniques.
Andréa Kalff sera également l’héroïne du projet à venir de Natacha Nisic: « l'installation d'Andréa est une version d'un film que je suis entrain de finaliser, qui sera prêt je pense dans un mois, un mois et demi et qui sera diffusé sur Arte. C'est un long métrage documentaire autour d'Andréa. C'est mon projet du moment de projeter ce long métrage, d'avoir une perception des choses différente ».
Natacha Nisic
L'île des morts, extrait de Andrea en conversation, 2013
Vidéo HD, cuoleur, son, 2 min 41 s
Courtesy Galerie Florent Tosin, Berlin
© Natacha Nisic 2013
Natacha Nisic
Kim Keum-hwa, extrait de Andrea en conversation, 2013
Vidéo HD, cuoleur, son, 9 min 07 s
Courtesy Galerie Florent Tosin, Berlin
© Natacha Nisic 2013
Indice Nikkei fait suite à Andrea en conversation. Un fauteuil attend le visiteur dans une chambre insonorisée aux murs rouges sur lesquels sont dessinées à la craie, les courbes des indices boursiers des monnaies et entreprises affectées par les dernières crises. La voix de Donatienne Michel-Dansac y résonne : la créatrice-interprète transcrit ces mouvements boursiers au travers de chants et sons improbables.
Suite à cette expérience amusante, l’atmosphère devient plus sérieuse avec la projection d'un film mettant en scène le site de Fukushima deux ans après le tsunami. L'artiste a dressé sur le site des miroirs verticaux qui lui ont permis de capturer dans un seul et même plan, à la fois le site détruit et déserté de Fukoshima et le monde alentour qui continue de vivre. Font écho à ce film, deux dessins au crayons : des reproductions de photographies diffusées dans les médias.
Natacha Nisic
f
2013
Projection vidéo HD, couleur, son, 17 min 37 q
Courtesy Galerie Florent Tosin, Berlin
© Natacha Nisic 2013
Natacha Nisic
Fukushima
2011
Crayon de couleur sur papier Canson
75 x 315 cm
Courtesy Galerie Florent Tosin, Berlin
© Natacha Nisic 2013
Une seconde installation, réalisée quatre ans avant cette dernière, emmène également le visiteur au Japon. Trois vidéos disposées côte à côte tournent en même temps. Elles offrent les images d'un site, situé non loin de Fukoshima, qui fut bouleversé par un séisme en 2008. L'artiste explique la relation qui existe entre les deux œuvres : « le premier tremblement de terre en 2008-2009 que j'ai filmé au Japon a sa résonance maintenant, malheureusement, avec Fukushima qui est aussi une fracture qui, je crois, est tellement grande et tellement puissante ».
Natacha Nisic
e
2009
Installation, 3 projections vidéo HD, couleur, son 5.1,
19 min chaque
Collection Fonds régional d'art contemporain Bretagne
© Natacha Nisic 2013
L'intégralité des œuvres de l'exposition Echo ont été réalisées ou inspirées par des territoires asiatiques. Le Japon, surtout, semble être l'objet d'un attrait particulier aux yeux de Natacha Nisic : « je crois que le Japon a été une véritable découverte, extraordinaire, que j'ai faite assez tôt, en 1999. La première fois que j'ai été au Japon j'avais été invitée. Cela a été comme un choc culturel pour moi, esthétique aussi. A partir de ce moment là j'ai passé beaucoup de temps à étudier, à lire, à faire de ce qui semblait si lointain quelque chose qui culturellement se rapproche de moi et m'enseigne des choses aussi. Et puis du Japon, finalement, les choses se sont ouvertes au reste de l'Asie. »
Echo est donc riche de sens : ses œuvres se font écho les unes les autres, elle espère aussi que son travail trouve un écho dans l'esprit du spectateur. « C'était très important pour moi de parler de Fukoshima par exemple, du japon, de trouver un biais pour en parler qui ne soit pas celui auquel on s'attend.» L'artiste joue avec des temporalités très différentes au sein de son exposition afin de susciter une réaction qui « soit plus profonde, plus à long terme ». Elle nourrit l'espoir que son œuvre résonne dans l'esprit du visiteur comme « une espèce de chanson intérieure ».
Ismène Bouatouch