« Photographies extraites de Chronique d’une Terre de?vaste?e » publie? aux Editions de La Martinie?re, © Nick Brandt
Le troisième et dernier opus de Nick Brandt paraît entre témoignage visionnaire et testament. Il place son lecteur dans une position délicate, celle de témoin : « A l’heure où j’écris ces lignes, dit il, une apocalypse de toute la vie animale, aux dimensions d’un continent, se déroule en Afrique ». Les premiers mots du livre annoncent ceux de tout un continent.
Nick Brandt est un photographe anglais dont la seule et unique muse est l’Afrique. Il a étudié la peinture, puis le cinéma au Central Saint Martins College of Art and Design avant de réaliser de fameux clips. Entre autre « Earth Song » de Mickael Jacskon tournée en1995 en Tanzanie, sa première rencontre avec l’Afrique dont il dit en être « tombé amoureux ». Dès lors, muni de son Pentax 67, un objectif court, il parcourt le pays et témoigne.
En 2000, il entame une trilogie photographique de grande ampleur. Chronique d’une terre dévastée est le troisième et dernier testament sur le territoire africain. Les couvertures mises bout à bout, tout comme les titres, révèlent la démarche formée depuis 13 années. En premier lieu Vivre sur cette Terre puis L’Afrique au crépuscule et enfin Chronique d’une terre dévastée. Un éléphant qui court puis s‘arrête, soudain un ranger à genoux tenant deux imposantes défenses d’éléphants couleur ivoire.
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Témoin de la tragique destinée africaine, il la livre grâce à une photographie à des années-lumière du style documentaire photographique, qui constitue la norme. Il opte pour une photographie artistique proche du portrait studio. Ceci grâce à un moyen format en noir et blanc sans téléobjectif, ni zoom afin d’obtenir un style héroïque noble.
Des portraits d’éléphants sans précédent, un animal à la peau sombre, une lumière forte et un ciel clair. Il leur tire le portrait, mettant en valeur une atmosphère, une stature, une étrange beauté tel un Nadar du monde animal.
Ces photographies résonnent avec les mots de Joris Ivens, le réalisateur hollandais et fondateur du style documentaire. Cet homme du cinéma eu une pratique artistique dont Marcel Martin, critique et historien du cinéma, dit « son passage par l'avant-garde lui a donné le souci de la forme qui a contribué à faire que ses films n'ont jamais été de simples reportages ».
Tout comme Ivens, Brandt renonce à l'art pour l'art, il allie esthétique à l’éthique. Tout le long de ses 120 pages, il opte pour une image forte qui va créer un électrochoc de part le fond et la forme.
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Après le portrait de léopard étendu, des têtes empaillées et empalées sur des piques en pleine savane. Le lecteur commence par détourner son regard avec effroi avant de se reconcentrer sur les clichés. Bien que choquante, sa photographie suppose qu’il ne veut pas d’anecdotes témoignant seulement de manière documentaire. Pas de cadavre nauséabond entre deux arbres. Mais une dérangeante tête étonnement belle trônant au sein d’un paysage somptueux. Un sublime rapace calcifié en plein marais, résultat de l'augmentation de la quantité de gaz carbonique dans l'atmosphère et de l'acidification de l'eau qui en résulte. Des photographies d’une beauté mortelle et un Nick Brandt qui vient déranger l’épieur, le faisant se questionner sur la condition animale.
Sa pratique obtient gain de cause, en 2010, à l’initiative d’un de ses « meilleurs collectionneurs » par sa participation à la création de Big Life foundation. Cette organisation à but non lucratif est « vouée à la conservation de la faune et des écosystèmes de l'Afrique » comme l’indique leur site. Et cela grâce à 280 rangers, 24 avant-postes, 15 véhicules de patrouilles, 2 avions de surveillance aérienne, 3 chiens policier...
Une nécessité qui prend racine dans la réalité, près de 60 % des éléphants d’Afrique ont été décimés ces dix dernières années, à l'arme de guerre, un massacre. Les causes ? Elles sont multiples. La pauvreté, les conflits, la corruption… l’impunité. Mais avant tout, l’existence d’une demande. En Asie, l’ivoire se vend près de 4000 dollars le kilo. En effet, après la drogue et les armes, le trafic des espèces menacées est le troisième au monde. L’Afrique est en proie à cette plaie, une parmi tant d’autres.
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Nick Brandt se fait le porte-parole d’une disparition lente mais certaine au lendemain de la Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction qui eu lieu du 3 au 14 mars à Bangkok. Selon les enquêtes présentées à Bangkok, il reste entre 420 000 et 650 000 éléphants en Afrique : 25 000 ont été tué en 2011, près de 30 000 en 2012. A ce rythme, les populations d'Afrique centrale pourraient avoir disparu en 2025.
En ce qui concerne les lions, il en subsisterait 20 000 en Afrique « soit une réduction de 75 pour cent de leur nombre en seulement vingt ans » comme l’explique le photographe dans son texte introductif.
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Photographie extraite de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt
Le livre de Nick Brandt prend alors une funeste signification, au delà d’un témoignage, il devient livre d’Histoire. Ce livre « marque la fin d’une trilogie qui a commencé au paradis et s’achève en un lieu beaucoup plus lugubre ». « Ce pressentiment latent et cette mélancolie intense qui m’habitaient, imprègnent la façon dont j’ai photographié les animaux de ce livre. Le crépuscule qui tombait sur les animaux et sur la terre (donc aussi sur nous) dans le deuxième livre, est plus sombre. Il a viré à un noir d’encre. ». Les portraits de trophée de buffles sont effroyables car ils prophétisent l’avenir ; ce mercredi, les Etats-Unis ont officiellement déclaré le puma éteint.
Et si les générations futures étaient vouées à ne connaitre des éléphants que leurs cadavres garnis de paille et de laine de verre ?
Laura Kotelnikoff Béart
Chronique d’une terre dévastée de Nick Brandt, aux Editions de la Martinière
38,6 x 33,6 x 2 cm
120 pages
65,55 €
Photos et vignette extraites de Chronique d’une Terre dévastée publié aux Editions de La Martinière, © Nick Brandt