© Wade Goddard
Surnommée la perle de la Dalmatie, Dubrovnik est une ville croate située au bord de l'Adriatique et à l'extrême sud du pays.
Ayant été assiégée pendant plus d'un an par l'armée populaire yougoslave au début des années 90, et prise pour cible par l'armée serbo-monténégrine en 1992, il n'est donc pas étonnant que cette ville ait été choisie pour abriter la Musée de la photographie de guerre. Portant les stigmates de tirs d'obus ayant ravagé presque 70% des édifices de la vieille ville, Dubrovnik concentre toutefois toute l'horreur des guerres et conflits internationaux au sein de la Galerie War Photo Limited.
Depuis juin 2004, le Musée de la photographie de guerre, situé en plein coeur de la vieille ville, se consacre au témoignage des atrocités des guerres contemporaines en exposant les travaux des plus grands photojournalistes, venus de tout le globe.
De la Yougoslavie à l'Afghanistan ou l'Irak, le Musée de la photographie de guerre présente des témoignages humains, rend hommage aux victimes et redéfinit la guerre et ses conséquences brutales et cruelles.
En proposant une véritable liberté d'expression, les journalistes du monde entier souhaitent y exposer les clichés capturés en temps de guerre. La Galerie War Photo Ltd ne se contente pas uniquement de jouer un rôle éducatif en mettant à disposition du public les preuves de la folie qui pousse des hommes à tuer leurs semblables. Elle se veut également mécène, en finançant les tirages les éditions de livres des photojournalistes. Ce privilège n'est toutefois accordé qu'aux « vrais journalistes » dévoués, aptes à payer de leurs propres vies le prix fort dans l'unique intention d'informer conformément les populations de la tragique réalité qu'ont connus de nombreux pays en guerre.
Wade Goddard, photographe néo-zélandais ayant collaboré avec Reuters, New York Times ou Newsweek et Frédéric Hanrez, homme d'affaires bruxellois passionné par le photojournalisme, sont les initiateurs et financiers de ce projet. La visée du Musée de la photographie de guerre est pédagogique, elle pousse le visiteur à réagir et à développer un sens critique à l'égard de la guerre et des médias.
Certaines photographies peuvent heurter la sensibilité des visiteurs, voire même choquer, mais la visite du Musée de la photographie de guerre de Dubrovnik promet avant tout d'être riche en émotions.
© Galerie War Photo Ltd
Wade Goddard est un photojournaliste originaire de Nouvelle-Zélande et ayant collaboré à la couverture des conflits en ex-Yougoslavie dans les années 90 pour l'agence Reuters, le New-York Times et Newsweek.
Depuis 2004, il occupe le poste de conservateur du Musée de la photographie de guerre de Dubrovnik en Croatie. Un musée unique en son genre, dans toute l'Europe.
A l'occasion du hors-série consacré à l'entrée de la Croatie dans l'Union Européenne, prévue pour le 1 juillet 2013, Wade Goddard répond aux questions d'Actuphoto.
Pouvez-vous vous présenter ? (parcours, études, expériences professionnelles)
Je suis né en Nouvelle-Zélande en 1969 et je suis arrivé en 1992 en ex-Yougoslavie (au début de la guerre de Bosnie) pour m'essayer au photojournalisme. J'ai découvert ma passion non seulement par le biais de l'art mais également grâce à cette région.
Au cours de la dizaine d'années qui a suivi, j'ai couvert les événements en ex-Yougoslavie en tant que photographe pigiste pour Reuters, New York Times et Newsweek.
Quelle fonction occupez-vous ?
Depuis 2003, après la mise en place du centre d'exposition, j'ai été impliqué dans tous les aspects de la gestion du centre, de la sélection jusqu'aux expositions, et l'édition des livres répondant aux exigences quotidiennes de la Galerie War Photo Ltd.
Pouvez-vous décrire le Musée ? Quand a-t-il été créé ? Quelle en est sa visée ?
L'idée de la Galerie Photo War Limited nous est venue durant un café avec le propriétaire, Frédéric Hanrez, un homme d'affaires belge, originaire de Bruxelles, sur Stradun (rue principale de Dubrovnik) à Dubrovnik. Fred et moi nous connaissons depuis de nombreuses années, c'est un collectionneur passionné par les photographes, en particulier ceux exerçant le photojournalisme.
Le centre a ouvert en 2003, avec l'exposition Blood and Honey de Ron Haviv. A partir de ce moment là, nous avons exposé des photojournalistes en provenance du Canada, d'Amérique, de Croatie, de Bosnie, d'Israël, de Palestine, de Russie, d'Italie, de France, de Grande-Bretagne et même de Nouvelle-Zélande.
Ayant couvert les guerres et les conflits dans de nombreuses parties du monde, nous avons eu toutefois tendance à présenter des conflits récents. Mais cela ne veut pas dire que nous n'exposerions pas des travaux sur la Seconde Guerre Mondiale ou sur la période de la Guerre Froide.
Comment avez-vous eu l'idée de créer un Musée à propos de la guerre ?
Le Musée de photographie de guerre, ce sont des expositions au sujet de la photographie de guerre. Il s'agit de faire passer le message à travers lequel on comprendrait que la guerre n'est pas rapide, propre, juste ou miséricordieuse, mais brutale et impitoyable. C'est le cancer de la population.
En exposant le travail de ces photographes dévoués qui risquent leur vie pour rapporter la folie que l'homme inflige à l'homme, nous espérons attirer l'attention du public sur la réalité de la guerre et en particulier de ceux qui ont le pouvoir d'autoriser une action militaire ou d'en refuser l'utilisation.
En demandant aux photographes d'exposer leurs propres images, nous sommes en mesure de partager non seulement le point de vue du photographe mais aussi son expérience. La politique devient la propriété du photographe. J'ai beaucoup d'admiration et de respect pour leur travail et j'estime au plus haut point leurs opinions et points de vue.
Pourquoi spécifiquement sur la photographie ?
L'accent sur la photographie de guerre provient de plusieurs raisons. D'une part, je connais bien la discipline mais le plus important est l'absence d'histoires non aseptisées et non censurées à la disposition du public.
Il devient de plus en plus difficile pour les photojournalistes d'obtenir la publication d'une histoire, et encore plus difficile pour eux de vraiment la raconter eux-mêmes, plutôt que de la livrer aux médias populaires qui utiliseront leurs photos pour illustrer leur vision de l'histoire, avec le parti pris du leur magazine.
Ainsi l'histoire devient la politique du magazine, (qui, dans la plupart des médias occidentaux est la politique des entreprises multinationales) en lequel je n'ai pas confiance.
C'est en le photographe que j'ai confiance, il ou elle était présente sur place, dans l'histoire, consommée par lui/elle, visuellement, émotionnellement, partageant les dangers, l'expérience de la souffrance de ceux qui la subissent, s'efforçant de comprendre. Ce sont eux les vrais journalistes, et non pas ceux que nous voyons à la télévision, sur le toit d'un pays voisin, lisant en direct de Londres les dépêches de l'Associated Press.
L'autre aspect de la photographie que je trouve intéressant, c'est notre capacité à se souvenir d'une image, contrairement à un film ou un texte. Quand nous pensons à un événement majeur, il est normal qu'une image fixe nous vienne à l esprit. Par exemple, lorsque la guerre du Vietnam est mentionné, je pense immédiatement à l'image de la jeune fille vietnamienne (Kim Phuc) fuyant, nue et brûlée, après un bombardement au napalm sur son village. Je ne me souviens pas des reportages ou des articles publiés sur le Vietnam, mais juste des images simples. C'est l'image même que je suis capable de garder en mémoire. J'ai entendu dire que l'histoire est un tas d'images fixes.
Existe-t-il d'autres institutions similaires en Croatie ?
Il y a plusieurs galeries et musées en Croatie, mais il n y a pas de focus sur la photographie comme en France ou en Italie, et encore moins d'attention portée au photojournalisme ou au documentaire.
La plupart des photographies en Croatie appartiennent à la catégorie purement artistique. Les pièces exposées sont très bien accueillis, de nombreux visiteurs nous remercient d'avoir rendu possible l'accès à ces histoires, et se plaignent souvent que ce type de travail ne soit pas assez accessible dans les villes d'origine.
Nous avons un livre d'or pour chaque exposition, qui est plein grâce aux photographes exposants, où le public les remercie pour leur courage, leur engagement et l'aspect éducatif qu'ils leur apportent.
Aspirez-vous à conférer au Musée un rayonnement international, afin de faire connaître l'Histoire croate au monde entier ? En particulier à l'occasion de son entrée au sein de l'Union Européenne ?
Nous nous efforçons d'aspirer à préserver la réputation des photojournalistes, le centre ne concerne pas uniquement la Croatie, son histoire ou son avenir au sein du club des entreprises de l'Union Européenne.
Pensez-vous que l'adhésion à l'Union européenne permettra à la Croatie de gagner en visibilité à travers l'Europe ? A travers le monde ?
La visibilité internationale de la Croatie viendra dès lors que le pays aura concentré son travail dans l'industrie du tourisme ou à travers son effondrement économique, provoqué par l'Union européenne.
A votre avis, quels changements sont attendus à l'occasion de l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne ?
Je ne sais pas vraiment, je ne peux que constater ce qui s'est passé avec les autres pays qui ont rejoint l'Union européenne. Lorsque l'on regarde l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et la Grèce, etc. Je vois les riches devenir plus riches encore, et le reste paye la facture. L'Union européenne est un club d'entreprises, pas un club social, tout est une question de profit ou d'expansion, l'expansion des marchés et des ressources, ce qui profite directement à l'élite entrepreunariale.
De quelle manière a été relayée culturellement l'adhésion de la Croatie dans votre pays ?
Je ne suis au courant de rien en particulier. La crise économique en Croatie laisse très peu de fonds disponibles pour la culture.
Pensez-vous que les 67% d'approbation à l'intégration au sein de l'UE sont réellement représentatifs de l'opinion publique locale ?
Je pense qu'à l'époque du référendum, les 67% d'approbation ont éventuellement été légèrement revus à la hausse. En soit, ce référendum est une imposture. Il n y avait pas de représentants au sein du gouvernement, de l'opposition ou toute partie du paysage politique croate pour les 30% qui étaient opposés à cette intégration.
Chaque parti politique croate avait été acheté par Bruxelles. Et même si le référendum aurait engendré de l'abstention, ils auraient continué à en soumettre à la population jusqu'à l'obtention d'un vote favorable à l'adhésion.
Je pense que beaucoup de gens y ont été favorables pour le changement que cela pourrait engendrer, pour un niveau de vie meilleur, estimant que leur gouvernement était incapable de leur donner et espérant que Bruxelles le fasse. Je pense que si les gens avaient été vraiment informés de tous les aspects "profitables et néfastes" concernant l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne, il y aurait eu 67% de désapprobation.
Photographies et vignette © Galerie War Photo Ltd © Wade Goddard
Propos receuillis par Kenza Chaouni