L'utilisation de photographies de presse dans les journaux se révèle être aujourd'hui un jeu d'enfant. Grâce aux logiciels de retouche tels que Photoshop et à ceux de mise en page, les rédactions du monde entier, recadrent, retaillent, retournent les photographies en deux temps trois mouvements. Mais il fût un temps durant lequel les journalistes avaient recours à d'autres outils et techniques pour imprimer leurs quotidiens. Des techniques bien plus traditionnelles et manuelles. Les Editions de la Martinière, publient Version Originale, la photographie de presse retouchée, un livre de Raynal Pellicer, qui dévoile les coulisses du monde de la photographie de presse entre 1910 et 1970.
Les 110 photographies présentes dans l'ouvrage ont un caractère presque inédit puisque personne jusqu'ici n'avait réellement eu accès à ces clichés. Il aura fallu près de trois ans de recherche pour que Raynal Pellicer, auteur et réalisateur, mette la main sur ces documents. Car depuis quelques années, la presse papier, en France comme aux Etats-Unis, se sépare de son patrimoine photographique. A lui seul, The Chicago Tribune a vendu près de 500 000 photographies issues de ses archives. « Des centaines de milliers de photos ainsi dispersées, 'bradées', soldées, revendues à l'unité (entre quinze et plusieurs centaines de dollars), par lots ou au poids ! Ainsi se perdent des documents exceptionnels, des pièces uniques (peut-on parler d'oeuvre muséales?) qu'aucune reproduction numérique ne peut restituer dans la valeur et leur texture réelles » soulève Raynal Pellicer.
John Dillinger (gangster photographié dans les locaux de la police de Tucson) Cliché du 29 décembre 1934
Mickey Walker (boxeur) Cliché pris le 14 mars 1930
En effet, les photographies sont parfois recouvertes de traces de peinture, retouchées à l'encre ou à la gouache, marquées par des repères et des annotations qui servaient au recadrage. Toutes ces marques font état d'une profession aujourd'hui disparue, de techniques traditionnelles désuètes.
Les clichés avaient été mis à disposition des rédactions (The Chicago Tribune, The Baltimore Sun, The Boston Herald, The Denver Post et The Detroit News) par les studios hollywoodiens. Le lecteur retrouve alors de grandes figures de l'époque telles que Charlie Chaplin, Ava Gardner, Marcel Marceau mais aussi Fernandel, Truman Capote ou Fidel Castro. Le noir et blanc ainsi que la pose des personnages sont révélateurs d'une époque mythique pour la photographie de presse.
Ralph Capone, 1931 (accompagné de deux avocats) Clichés publiés le 9 octobre 1930 puis le 3 décembre 1931 © Chicago Evening American staff photographe / © Herald and Examiner photo
Truman Capote (écrivain) 1972 Cliché du 16 janvier 1972
Le lecteur distingue donc les traces de feutre soulignant les traits des yeux, de la bouche, les ombres du visage, les coups de pinceau servant à faire disparaître un arrière-plan ou un élément gênant tel qu'une cigarette. Raynal Pellicer confronte parfois la version originale, celle retouchée et finalement sa parution.
Ce livre permet également de comprendre l'enjeu de la retouche, et d'effacer les préjugés. Non, la retouche n'est pas née avec photoshop et autres logiciels. La retouche a instantanément suivi la photographie. Dans les entretiens menés par Raynal Pellicer, qui précèdent les photographies du livre, André Gunthert, enseignant chercheur explique que « le premier daguerréotype est divulgué en 1839 et la première photo retouchée attestée date de 1841 […] La retouche remonte donc au début de la photo et en a toujours accompagné la production. » Pourtant, cette technique reste tabou voire parfois polémique, comme l'a montré le dernier Word Press Photo, par exemple. La question est très régulièrement posée « jusqu'où peut-on retoucher une photographie sans trahir une vérité ? » Robert Pledge, interrogé dans ce livre tente d'apporter des éléments de réponse et distingue deux intervention : « Une retouche destinée à améliorer la lecture de l'image imprimée par rapport au document original et une retouche visant à transformer l'image pour lui donner un sens différent. »
Harry G. Kipke (entraineur de l’équipe de football américain des Michigan Wolverines) Cliché pris le 11 septembre 1935
Jackson Pollock (peintre) 1950 / Cliché du 31 mai 1964
Chicago Daily tribune / © Hans Namuth
Cette technique est donc utilisée depuis toujours. Elle n'a cependant jamais fait l'objet d'explication particulière. Pour André Gunthert, cette « sélection lève le voile sur une histoire secrète », celle de la retouche. « Exposer ces images est un paradoxe absolu. Ce sont des images que l'on n'aurait jamais dû voir. Ce qui est écrit sur les images c'est 'surtout ne me regardez pas'. Les exposer c'est leur faire le pire des affrontements. » Un affrontement qui permet toutefois au lecteur de découvrir une facette cachée de la presse.
Version Originale, la photographie de presse retouchée est un beau livre qui fait prendre conscience du travail photographique effectué par les rédactions au début du XXe siècle. Les photos seront par ailleurs exposées aux Rencontres d'Arles, du 1er juillet au 22 septembre 2013.
Version Originale, la photographie de presse retouchée / Editions de La Martinière
Raynal Pellicer
29x24,4 / 232 pages
42 euros
Clémentine Mazoyer