© Louise Leclerc
Stefano Cerio avec Vice Versa emmène l'homme dans un voyage solitaire. Ses clichés captent l'attention, pourquoi choisir ces lieux vides ? La couverture dévoile une cabane de ski, le bois brut ressort, la neige. Le silence est perceptible. Le titre Vice Versa informe sur son choix photographique. Il capte les instants de la nuit, le vide des stations de ski, les croisières, les parcs de jeux. Ces lieux de la consommation, du divertissement, habituellement envahis par les hommes, sont transformés par l'oeil de Stefano Cerio. « Je me suis beaucoup intéressé au tourisme de masse. À la foule. Je déteste le monde. C'est une réflexion entre le vide et le plein. Le vide c'est l'absence de personnes. Il reste quelque chose de la présence humaine qui n'est pas la. C'est le portrait de personnes qui ne sont pas là. »
Le livre est divisé en trois séries, la montagne, les parcs aquatiques et les croisières. Il représente des télésièges à l'arrêt, perdus dans les ténèbres de la montagne. L’atmosphère est pesante. Le Mont-Blanc devient sombre, les traces du passage d'un véhicule révèlent la présence de l'homme. La mécanique des structures, le fer, sont illuminés par Stefano Cerio. Le froid semble traverser la photographie. Le lecteur est happé par la profondeur de la montagne, la neige disparaît pour laisser place à l'obscurité. Une montagne sans fond. « La station de ski m'a mis à disposition ce qu'on appelle en italien un « char de neige » et qui m'a permis de me déplacer dans la montagne. Le plus compliqué c'était surtout la lumière. Nous étions deux, un pour la lumière et un pour les prendre les photos. »
© Stefano Cerio
A la découverte du travail photographique de Stefano Cerio, une lumière, une qualité picturale, une netteté des clichés interpellent le regard. « Je travaille avec la chambre, en moyen format. Pour le moment ! C'est plutôt une question d’exercice physique. De mettre la chambre sur le pied, de faire le geste, c'est un processus. Regarder tout de suite l'image ça me dérange un peu. Je préfère attendre et développer la photo. Mais les prochaines photographies, je les prendrai peut-être avec l'iPhone, qui sait ! »
Il prend le temps de poser son matériel, cadrer ces lieux désertiques. Chaque objet est étudié. Ce n'est pas un photographe de la vitesse, il est de la vieille école, comme il aime à le rappeler. Aucun cliché en noir et blanc : pour montrer le vide, il faut évoquer les teintes qui se lénifient. « J'ai une vision très objective de la photo. Je déteste toute l'utilisation électronique. Je ne suis pas absolument contre la technologie. Mais je n'aime pas tout ce qui donne des effets différents de la réalité. »
© Stefano Cerio
A travers ses images, il y a une certaine contemplation de ces parcs aquatiques l'hiver. Là ou habituellement les enfants jouent dans l'eau, un univers de neige, de froid les remplacent. Ces structures en serpentin semblent perdues au milieu d'une nature désertée. « L'idée que j'avais c'était l'inversion. Aller dans les parcs quand ils sont vides et pas utilisés. Mais l'été, ils sont remplis. Il y a seulement une photo de parc abandonné. Il n'existe plus. C'est une zone près de Naples, un Aqua parc à l'intérieur des maisons. Il s'agit pour moi de portraits de personnes qui ne sont pas là. Ils sont présents en tant qu'idée. » La piscine « Magic World » paraît délaissée. Les affichages sont déchirés, le ciel sombre et pesant. Les couleurs des toboggans, sont estompées par le temps. Le gorille bordant la piscine semble sortir d'un film de King-kong.
© Stefano Cerio
L'eau est stagnante, la terre et les feuilles de l'année y reposent, donnant un aspect soucieux. Elle a verdi, glacé, les couleurs sont ternes. Les clowns, si joyeux, paraissent tristes. L'eau a dégouliné sur leur visage. Pendant la prise des photos « les parcs étaient fermés. Je ne pouvais pas entrer avec la chambre et le matériel discrètement ! J'ai toujours demandé la permission. Ce n'était pas facile du tout. J'ai eu beaucoup de difficultés. J'ai demandé à tous les parcs aquatiques d'Italie et seulement sept sur les quarante m'ont donné l'autorisation ».
© Stefano Cerio
Cette sensation de vide, est visible également sur les croisières maritimes. Dans la nuit, Stefano Cerio, à bord d'un paquebot, photographie les piscines recouvertes par des filets. « Il y avait plus de 4 000 personnes à bord mais j'allais faire les photos soit la nuit soit tôt le matin. Quand il y a beaucoup de monde sur un bateau, il n'y a pas de convivialité. Il y a beaucoup d'animation, tout est organisé mais on est seul finalement. » Un stade, des bars dépeuplés, un théâtre inoccupé, une salle de spectacle vide, silencieuse. Les marches sont scintillantes, un univers fantasmagorique, un monde de paillette dans l'obscurité, déshumanisé. Le marbre est imposant et doré.
© Stefano Cerio
Stefano Cerio détourne les lieux de vie, de consumérisme. Il photographie l'hiver et la nuit, ces moments de solitude. « Si l'on regarde bien, il y a quand même quelque chose sur le tourisme dans mon livre. On peut réfléchir sur ça. Mais ce n'est pas une critique, je ne dis pas « c'est un problème ! » Je veux simplement soulever des questions et faire réfléchir. » Cette démarche se reflète également dans l'absence de légende. « Si je dis quoi que ce soit sur une photo, il s'agit de mon interprétation. Or je ne veux pas obliger les gens à penser qu'un cliché a telle ou telle signification, je préfère, une fois encore, les laisser réfléchir. »
Photographies © Stefano Cerio
Vice Versa de Stefano Cerio
Editions Contrasto
35,8 x 28,6 / 120 pages
34 euros
Clémentine Mazoyer & Louise Leclerc