
© Ahmad Ali, La révolution Syrienne
Syrie l'art en armes, retrace le combat des artistes syriens expatriés. A travers facebook, ils ont créé des groupes de lutte, envoyé leurs créations afin de combattre le régime de Bachar Al-Assad. Après avoir fui la Syrie, ils ont utilisé internet pour diffuser leur art. Delphine Leccas, cofondatrice de l'association AIN qui soutient la création contemporaine, a réuni ces œuvres afin d'en faire un livre.
La Syrie connait une situation terrible. Les journalistes y sont assassinés, on soupçonne l'utilisation d'armes chimiques. Les artistes, intellectuels, ont fui afin de survivre à ce conflit qui dure depuis un an et demi. Il est compliqué d'avoir des contacts de l'extérieur. Internet, les téléphones portables permettent aux exilés de s'exprimer. Pour les artistes, le choix du départ s'avère compliqué. S'ils quittent leur pays, qui va agir à l'intérieur ? Les armes agissent, dominent. Au commencement, c'était une révolution pacifiste. « Au début, les artistes faisaient des actions pacifistes, des événements en pleine rue comme les balles de ping pong lancées du haut de la colline de Damas avec des mots révolutionnaire. On ne pouvait arrêter personne. Des fontaines remplie de colorants rouges, » explique Delphine Leccas.
© Akram Al Halabi
Une couverture rouge sang, dévoile des obus et des silhouettes humaines alignées. Amad Ali l'a nommé « La révolution Syrienne ». La révolte silencieuse passe par l'art. Ne pouvant crier leur colère dans leur pays, les artistes syriens sont contraints de créer à travers internet. Une préface de Jacques Mandelbaum publié également dans Le Monde, prépare le lecteur. « La mort tapie derrière l'oeuvre, et l'oeuvre comme défi à la mort : c'est le lot commun, et hors de prix, de la création Syrienne. »
Auparavant, l'humour prédominait dans les BD, les vidéos, les clips. Actuellement, c'est un humour noir, cynique. A travers internet, ils soutiennent les Syriens restés au pays. L'art devient un acte militant, un moyen de manifester. D'après les expatriés, la guerre a changé les modes d'expression. En Syrie, ils créaient dans le danger et l'urgence. Pour une raison pratique, ils ont déménagé de leurs ateliers, ont travaillé dans des lieux plus petits. Ils ont changé de support, ne pouvant plus créer sur des grands formats.
© Akram Al Halabi
Première image, une arme dessinée sur un mur, de la peinture rouge symbolisant le sang syrien, des papillons qui tentent de voler. Cette représentation est extraite du film d'animation de Khaled Abdulwahed. Le livre débute sur une image sanguine et se conclut sur une représentation d'hommes et obus noir et rouge. Le sang versé par les Syriens n'est jamais très loin. La censure a permis à ce livre de naitre. Sur les murs des graffitis de liberté, immédiatement recouverts par une peinture rouge. « Liberté » ne fait pas partie du régime Syrien.
Les œuvres de ce livre ont été reçu sur facebook, afin de commenter le quotidien de la Syrie depuis un an et demi. Un moyen de sortir de l'horreur, de donner un autre regard à cette réalité. Vingt artistes plasticiens représentants de la scène artistique Syrienne ont collaboré. «Ce sont des artistes qui travaillent sous leur nom, avec des collectifs, et qui étaient déjà connus avant la révolution. On retrouve leur univers, mais il y a une très grande liberté d'expression qui n'existait pas auparavant, une explosion dans leur travail que je n'avais pas connu ces dernières années. La création de collectif c'est tout à fait nouveau, il était difficile pour eux de se faire un nom. »
© Osama Horany
Afin d'échapper au régime Syrien, la page « Syrian people know their way »a été crée. Ils l'ont alimenté d'affiches, de slogans et compositions. Pour s’exprimer, les artistes syriens ont utilisé tous les supports possibles. « Les timbres de la révolution syrienne » ont permis de détourner les symboles. Comme cette caméra se transformant en arme. Leur corps est également devenu un élément de contestation. Pas besoin de mots pour exprimer la douleur des Syriens. Les images suffisent. Tammam Azzam présente une radiographie rouge d'un corps, un trou de balle sur la poitrine avec pour titre « Le jour de la fête des mères en Syrie ».
Les cliché que développe depuis mars 2011 Akram Al Halabi ont marqué Delphine Lecas : « Il a pris beaucoup d’ampleur et a couvert les temps forts de la révolution, des moments qui le marque lui profondément et qui nous marque tous. » Cet artiste atypique utilise des vidéos youtube qu'il retravaille ensuite. Il fait disparaître les corps pour laisser place à des masses grises, sombres. Les mots sont placés afin d'illustrer l'image et de la rendre plus forte « hand, air, blood, street, syrian citizen, heart, body... » Comme ce soldat qui s'amuse à sauter sur un corps « the mad soldier, do you want freedom ? » L'imagination est plus terrible que le cliché. A travers son art, Akram Al Halabi montre des corps d'enfants, des femmes syriennes et le massacre de Hama en 1982.
© Mohamad Omran
La représentation du régime Syrien est différente pour Alaa Safady : c'est un cri de douleur. Une femme gémit en tenant son visage, en fond un drapeau syrien rouge sang. Un enfant pousse un char, un autre clame en arabe « je suis un enfant syrien ». La révolution syrienne manque d'images, il est impossible pour les journalistes de survivre à Homs. Par le biais des artistes en fuite, la réalité de cette guerre est dévoilée. Amjad Wardeh utilise la couleur, la peinture. Des chars alimentés par du sang, le portrait d' Hamza Bakor, enfant originaire d'Homs, martyr après qu'un obus lui ait arraché la mâchoire.
© Monif Ajaj
Chaque artiste possède sa spécificité, Azza Abo Rebbieh, évoque les enfants morts sous la torture ou tués par des snipers à travers le numérique. Sa série devait être reproduite sur les murs mais son projet n'a pu aboutir. Monif Ajaj représente les syriens dans une série « Mondassen » qui signifie « infiltrès ». Les médias syriens avaient accusé les manifestants d'être des infiltrés au service des pays occidentaux. La révolution Syrienne passe par internet. La vidéo en avril 2011 des miliciens Shabiha piétinants les habitants du village d'Al-Beida a choqué et inspiré de nombreux artistes. Mohammed Omran est passé par le dessin pour exprimer sa colère.
Wassem Al Marzouki, par ses dessins souhaite déraciner la tyrannie. Ce livre de la révolte s'achève sur les portraits de syriens, intellectuels, artistes, activistes. Il pose avec le journal officiel du parti : Le Baath. Gravé en lettres arabes, chacun calligraphie un mot, une phrase : « Le peuple », « je suis journaliste pas informateur », ou « Nous ne voulons pas avoir envie de partir ».
Syrie l'art en armes / Editions de la Martinière
25,4x19,2 / 92 pages
22 euros
Louise Leclerc