© Yan Morvan
« Gangs Story » n'est pas la vision extérieure, préconçue et faussée d'un être jugeant un peu rapidement un univers effrayant car méconnu, méconnu car hermétique.
Il s'agit d'un récit narré par un ancien membre de gang : Kizo l'Art-Chitekt, de la Mafia Z de Grigny.
Son dessein est bien plus grand que nous n'osons l’imaginer, et c'est pourquoi il est soutenu par Yan Morvan, photoreporter reconnu et respectueux du « milieu », dont les clichés témoignent des gangs depuis 1975 jusqu'en septembre 2012.
Ce livre est initié par une question que s'est posée Kizo :
« J'ai connu tout ça, et je me suis posé une simple question : pourquoi sommes-nous en guerre avec des personnes qui ont les mêmes problèmes que nous ? J'ai commencé à me plonger dans l'histoire de ces bandes de jeunes. »
Afin qu'il n'y ait aucune forme d’équivoque, il expose sa visée dès le début du livre :
« ce livre n'est pas une apologie des gangs : il veut illustrer cette histoire méconnue. Ces années de conflits ont marqué plusieurs générations de jeunes adultes, leurs familles, les institutions. Nombreux sont ceux qui ont perdu la vie dans des rixes sanglantes. Certains ont réussi à s’échapper du gang. Une minorité pour se « reconvertir » dans des activités illicites, les autres, atteignant la maturité, pour réussir à construire. Puisse l'exemple des anciens et la connaissance de cette histoire commune les rapprocher et leur faire comprendre qu'intégrer une bande peut aussi servir à regrouper les idées des différents membres afin de construire un projet positif, que le vrai ennemi n'est pas la bande rivale, mais bien l'ignorance et l'échec scolaire. »
Brigands pour les uns, seigneurs pour les autres, depuis les « Blousons Noirs » jusqu'aux « teneurs de murs », Kizo s'empare d'une figure sur laquelle l'opprobre a été jeté, celle du voyou.
Il nous propose de comprendre tout un monde méjugé, élevant le savoir contre la peur et la réédition d'erreurs passées.
Ainsi, le livre se compose de 4 chapitres qui se suivent de façon chronologique :
« Vivre vite, mourir Jeune, faire un beau cadavre », une citation de James Dean, « On vit pour le gang, on meurt pour le gang », « Une fracture sociale se creuse » discours de Jacques Chirac le 17 février 1995, et enfin « Sex, drug, money » qui est un panorama de la situation actuelle.
Telle une parade d'identification policière, les époques, les dynamiques, les gangs sont alignés, dos au mur afin d’être confondus.
Le démarche est toujours le même, la théorie précède la pratique, Kizo divulgue l'Histoire des gangs, puis la certifie, preuves à l'appui : les photographies de Yan Morvan.
© Yan Morvan
L'auteur remonte le temps jusque dans les années 1950 avec les premiers voyous les Blousons Noirs, les bandes de motards, tels que les Hell's Angels de Crimée, les premiers gangs les Vikings, les Teddy Boys et surtout les Rebelles, qui arborent le drapeau des sudistes et traquent l'immigration. Par opposition, les premiers « chasseurs », fils d'immigrés et de la précarité, pratiquant l'auto-défense. L'effervescence du mouvement skinhead, fin des années 1970 au Royaume-Unis, rencontre des Rude Boys, issus des ghettos jamaïquains, écoutant du Ska, et des Mods, jeunes blancs de la classe ouvrière, fans de scooters et de soul music. Ces premiers mouvements skinhead étaient apolitiques jusqu'aux discours racoleurs d'Enoch Powell, politicien populiste anti-immigration.
De la sorte, à la fin des années 1970, à Paris, on découvre de front l'extrême droite et le hip hop.
Né à New-York, dans le South Bronx, Hip, d'origine wolof, signifie « ouvrir les yeux » et Hop correspond au mouvement du saut.
Du reste, en lisant Kizo, il est impossible de ne pas le lier à une des figures de proues de cette mouvance, Kevin Donovan. Celui-ci après un voyage en Afrique réalisa la nécessité de stopper la violence pour lancer une véritable communauté, ainsi né Afrika Bambaataa (« Bambaataa » signifiant leader affectueux en zoulou) le fondateur de la Zulu Nation.
Outre le breakdance et le graffiti, on voit se propager la plaie nationaliste et son vaccin : les « Chasseurs de Skins » ou Redskin. Ces gangs antifascistes et antiracistes sont proches des Black Panthers, Asnays … les anciens « chasseurs de Rebelles ». Mais aussi des Zoulous qui portent haut la tolérance, la fraternité et le respect.
Ainsi, l'intrigue de Kizo apparaît peu à peu, l'histoire se dénude devant nous : Et si la violence sur laquelle se focalise les médias, la jeunesse, la population, n'était pas le dessein des gangs mais un moyen de parvenir à leurs fins, de défendre leurs pensées ?
C'est en tout cas ainsi que nous sont présentés les Red Warriors, skinheads prônant un antiracisme radical, dont le combat est avant tout un combat antifasciste qui, le temps faisant, sera repris par la Jeune Garde, les Ultras d'Auteuil et les Antifas.
Néanmoins, si les photographies se font témoins de codes vestimentaires immuables, d'un effet de groupe inaltéré, le récit de Kizo bascule fin des années 1980 : Les gangs de banlieue versent dans la criminalité. Dennis Hopper leur offre l'étincelle, le film « Colors » est aux banlieusards ce que « Easy Riders » était aux rockeurs.
Avec le temps, et à l'image de notre monde, l'argent devient le régenteur de toute une génération qu'il asservit. C'est pour l’appât du gain que la jeunesse quitte les gangs, qui bien qu'incompris se battaient pour des valeurs et le maintien d'un ordre.
L'auteur aborde une mutation des gangs, du fait de l'ethnicisation et de la résurgence du communautarisme, conjointement à l'arrivée des armes qui, de façon zélée, tourmentent d'avantage encore les conflits. L'apogée de ce malaise étant 2010, le retour du fascisme de rue sous l'influence des pays de l'Est.
Mais ce dévoiement est, pour Kizo, dû à la mauvaise compréhension des combats passés. Son principal ennemi perdure la méconnaissance, l'ignorance... A l'image de cette erreur journalistique qui consistait à parler des problèmes de banlieue en parlant de « Guerre des zoulous » alors que les Zoulous étaient viscéralement pacifistes, ils interdisaient de se droguer, de provoquer querelle...
Face aux premiers dérapages, Kizo rappelle que « déçus par les comportements de tous ces jeunes, des anciens membres des Black Panthers, des Asnays, des Bounce 45, invitent la plupart des gangs de la capitale à apaiser les conflits de toute urgence, car les règlements de compte ne connaissent plus de limite. ».
© Yan Morvan
On découvre une histoire, celle des excommuniés de notre société, de leurs maux illustrés par les photographies de Yan Morvan et pansés par les mots de Kizo. Le photographe tire le portrait de ces réprouvés et de leurs luttes.
En 37 années de photographies, s'il est une constance c'est la nature masculine des gangs et s'il est une évolution c'est le sinistre de ces barres d'immeubles.
Yan Morvan ponctue ses clichés de la jeunesse par des portraits en creux, des espaces urbains, lieux de vie, lieux où a germé la violence actuelle.
Ce sont les HLM abandonnés qui ont accouché de cette nouvelle violence, la désertion de l'Etat, et le désarroi de 20% de notre population, marquent le tournant vers ce grand banditisme dont parle Kizo.
Mais si tous ces gangs, cités plus haut, sont présumés coupables avant procès, Kizo explique que « lorsque les gangs étaient actifs, tout était finalement sous contrôle. Or maintenant il ne reste que des groupuscules en concurrence pour un marché, celui de la drogue ou de la démerde. Les banlieues vivent avec le chômage, les aides de l’état, et le marché parallèle. Le niveau de violence, lui, a considérablement monté. ».
Finalement, « La vie a continué, les armes sont restées. Il est donc temps que les petits prennent conscience du combat des grands frères comme les Black Panthers, les Asnays, les Ducky Boys, de leur lutte pour nous protéger des skinheads fascistes. D'autres sont mort pour nous.
Mais ne passez pas de l’autodéfense à l'autodestruction.
Si nous sommes tous des créatures de Dieu pourquoi faire la différence ? »
Entre l'autodéfense et l'autodestruction il n'y a qu'un pas, franchit par une génération en perdition. Une génération dont l'interprétation des pugilats d'hier est erronée.
Loin d'un dithyrambe de la violence, « Gangs Story » est une ode à l'avenir.
« Les peuples n'ont jamais que le degré de liberté que leur audace conquiert sur la peur » disait Stendhal.
Prenez garde, il s'agit d'une rencontre avec les générations passées et leurs utopies, il s'agit d'un appel à faire confiance à notre génération.
Si l'on s'imagine que Kizo et Yan Morvan encensent un cercle vicieux, on découvre, en réalité, qu'ils nous forcent à voir le cercle vertueux qui se cache derrière chacun de ces êtres que la société a répudié.
Laura Béart Kotelnikoff
Gangs Story
Kizo, Yan Morvan
La Manufacture de livres
29 x 25,2 x 3,2 cm
288 pages
49€