Vignette et photos © Laure Albin Guillot
Dans la filiation de la rétrospective du Jeu de Paume consacrée à Laure Albin Guillot, le catalogue d'exposition présente un ensemble conséquent de cent épreuves et de livres originaux, de magazines et documents d'époque. La composition de l'ouvrage épouse les différentes sections de l'exposition, tout en l'enrichissant des recherches approfondies menées par les deux commissaires d'exposition Delphine Desveaux directrice des collections Roger-Viollet et des projets culturels de la Parisienne de Photographie et Michaël Houlette, commissaire d'exposition du Jeu de paume.
© Laure Albin Guillot
La densité de l'ouvrage permet d'explorer encore plus en profondeur la personne d'Albin Guillot et son engagement dans la photographie. Un premier chapitre, construit autour d'archives et de témoignages tardifs, retrace le parcours de vie de Laure Meifredy, devenue «La grande dame de la photographie»
L'entretien avec Patrick-Gilles Persin, touche à l'intimité, à travers ses mots se profile la femme «d'une grande pudeur» qu'était Laure Albin Guillot. «Elle avait un charisme évident, une puissance de caractère d'exception qui m'a toujours laissé penser que, dans le travail, elle ne devait pas être facile et sûrement très autoritaire», confie Patrick-Gilles Persin, qui a connu la photographe quand elle séjournait à Nogent à la fin de sa vie. De ce tête à tête avec un proche, émerge aussi quelques anecdotes liées au travail de photographe de cette femme d'exception, comme le récit d'une prise de vue de la série «ciels», qui fit dire à Laure Albin Guillot «j'ai inventé le premier plan!».
La carrière de Laure Albin Guillot impressionne, Delphine Desveaux le mentionne « Elle travaille pour l'état mais reste artiste, elle expose, publie, organise des expositions».
Figure majeur du milieu artistique et des institutions culturelles, pionnière à une époque où les femmes sont encore cantonnées à des métiers peu lucratifs et subalternes, Laure Albin Guillot se singularise et mène «une carrière au féminin», comme le signale les recherches de Catherine Gonnard. Chez Laure Albin Guillot, La photographie, reste longtemps une pratique amateur. C'est après la mort de son mari « Qu'elle amplifie son activité professionnelle pour devenir une véritable entrepreneuse».Proche des cercles pour la défense des femmes, Laure Albin Guillot est une féministe militante de la ligue française pour le droit des femmes.
«Ces fonctions institutionnelles, comme celles de membre de jury de photographes, font partie pour Laure Albin Guillot d'une stratégie où se mêlent carrière individuelle, passion pour la photographie, affirmation du travail et de place des femmes», précise Catherine Gonnard.
© Laure Albin Guillot
Delphine Desveaux, décrypte la «manière Albin Guillot», dans la section Portraits «Ici tout n'est qu'ordre et beauté…». Selon elle, la photographe « trouve vite ses marques et use de trucs qui font que ses portraits ont tous un air de ressemblance : décor dépouillé, plan rapproché, profondeur de champs réduite, éclairages simples».C'est aussi La découverte d'une manière de travailler, au sein de l'atelier rue Ranelagh où défile le tout Paris, depuis Jean Cocteau jusqu'à Louis Jouvet en passant par Colette .
Ses portraits et études de nus attestent de la recherche formelle menée par la photographe. Comme l'exprime Delphine Desveaux, «la photographe privilégie la maîtrise de la forme sur l'inspiration, elle est en quête d'une pureté poétique, d'une dématérialisation du corps par la puissance de l'esprit d'un lien entre l'esprit et le monde autour de lui».
Puis le texte laisse place à une quarantaine de photographies, où se déploie toute l'esthétique parfois proche des picturialistes de la grande dame de la photographie.
© Laure Albin Guillot
Delphine Desveaux et Michaël Houlette, signalent la dimension pédagogique des recherches micrographiques qui ont fait la renommée immédiate de l'artiste lors de la parution de son livre "micrographie décorative" en 1931. Les clichés du catalogue d'exposition montrent l'utilisation de ces micrographies comme motifs pour les arts appliqués.Ces photographies du monde de l'infiniment petit se déclinent en papier peint, soieries, reliures et objet divers.
Dans le débat qui animent les partisans et les détracteurs de la photographie comme médium artistique, Laure Albin Guillot apporte sa réponse : selon elle, la photographie est un art décoratif. «On pense à Blossfeldt, aux naturalia, aux répertoires de formes abrités dans les cabinets de curiosités depuis la renaissance. Photographies naturalistes ? Arts graphiques? Peu importe, ces architectures miniatures sont l'incarnation formelle du non nova ses nove», nous dit Delphine Desveaux.
© Laure Albin Guillot
Puis, on découvre que «la photographie publicitaire occupe une place de premier plan» dans le parcours de Laure Albin Guillot. Michaël Houlette explore ici «photographie publicitaire», ouvrage théorique publié par la photographe en 1933, dans lequel elle définit «le rôle que la photographie peut jouer dans le paysage publicitaire». Michaël Houlette analyse avec minutie la technique photographique de Laure Albin Guillot. Une étude enrichie par les nombreuses photographies publicitaires qui l'accompagnent.
«L'oeuvre imprimée» de Laure Albin Guillot, retrace les liens étroits entre la photographe et le monde de l'édition. Dans une lettre qu'elle rédige à Maurice Guy-Loë en 1954, lorsqu'elle souhaite mettre un terme à sa carrière, Michaël Houlette relève une phrase « J'ai fait entrer la photographie dans la bibliophilie».
La mise en page de l'ouvrage, nous transmet de nouveau la délicatesse artisanale de ces ouvrages, qui furent souvent co-réalisés. Notamment, avec Henry Demontherlant, Marcelle Maurette et Paul Valery, avec qui Laure Albin Guillot partageait une esthétique commune. Comme l'écrit Michaêl Houlette « Ces véritables livres-objet, combinant le plus souvent texte et portfolios d'images dans un seul coffret, rassemblent effectivement les caractéristiques les plus importantes du livre pour bibliophiles par leur rareté, leur luxe et leur facture: le papier, de qualité admirable, la composition du texte, confiée à un maitre typographe, les illustrations presque toutes originales, qu'il s'agisse de tirages au charbon provenant de l'atelier Fresson ou d'impressions photomécaniques manuelles».
© Laure Albin Guillot
La qualité du livre est égalent présente dans «Laure Albin Guillot- Le catalogue d'exposition», le grain du papier, la qualité du tirage enchantent. Publié aux éditions de La martinière, cet ouvrage exhaustif explore l'ensemble de l'oeuvre de la grande dame de la photographie. L'équilibre a su être trouvé, entre d'une part, l'éclaircissement documentaire de Catherine Desveaux, Michaël Houlette et Catherine Gonnard et d'autre part une publication importante de clichés.
Comme l'exprime Marta Gili, dans son avant propos, malgré la grande notoriété de Laure Albin Guillot dans les années 1930, cette artiste reste encore méconnue du public français et international «peut-être en raison du caractère ambigu et inclassable de son travail». Le catalogue d'exposition de la rétrospective consacrée à Laure Albin Guillot au Jeu de Paume lève l'énigme sur l'oeuvre et la carrière de cette artiste emblématique de l'histoire de la photographie.
© Laure Albin Guillot
Manon Froquet