Autoportrait vers 1935 Laure Albin Guillot Collection Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône. © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet
La rétrospective Laure Albin Guillot (1879-1962) l'enjeu classique est l'aboutissement de deux ans et demi de recherches menées par les deux commissaires d'exposition Delphine Desveaux et Michaël Houlette. En se plongeant dans les travaux de Laure Albin Guillot, ils disent avoir ressenti un "vertige" face à l'oeuvre. L'artiste est à l'origine d'une quantité impressionnante de publications, dans des domaines aussi variés que la publicité, le portrait, l'édition ou encore les micrographies qui ont fait sa renommée. Pour réaliser cette exposition, Delphine Desveaux et Michaël Houlette ont privilégiés l'approche documentaire et historique. « Dès les premières photographies, on décèle l'attachement de Laure Albin Guillot à l'histoire de l'art et à la période classique. Tout au long de sa carrière, la grande dame de la photographie a travaillé sur les notions de perfections et de beauté classique. Malgré ce regard vers le passé, les travaux de Laure Albin Guillot se caractérisent par une variété de propositions artistiques. »
Pour mieux saisir l'ampleur des travaux de Laure Albin Guillot, Delphine Desveaux et Michaël Houlette ont choisi d'organiser l'exposition en quatre parties. Dans un premier temps sont exposés les débuts photographiques de Laure Albin Guillot de la première moitié des années 20. Intitulée "l'atelier", on découvre dans cette première partie, l'art du portrait et du nu de la photographe. Comme l'indique le le titre apporté par Delphine Desveaux « Portrait, "Ici tout n'est qu'ordre et beauté…», le code de la photographe est déjà celui de l'élégance.
« La manière Albin guillot » est personnelle et assez systématique. Elle trouve vite ses marques et use de moyens qui font que ses portraits ont tous un air de ressemblance : décor dépouillé, plan rapproché, profondeur de champ réduite, éclairages simples » témoigne la commissaire d'exposition. On ressent d'or et déjà le grand attachement de la photographe pour la forme. Les "poses inspirées" , rappellent le traitement des peintres de leurs modèles. Toujours à son avantage, ces figures sont mise en valeur et représentées avec finesse au sein d'une structure simple. C'est avec ces nombreux portraits que Laure Albin Guillot devient la photographe du Paris artistique. Jean Cocteau, Valéry Giscard d'Estaing, Colette et bien sur son ami Paul Valéry font partie de ces modèles. La photo « Paul Valéry sur son lit de mort» est troublante à cet égard. Quand on sait les liens personnels de l'écrivain et la photographe, l'épure esthétique et la tranquillité qui se dégagent du portrait est touchante. Les lignes et plis des étoffes, la douce communion des couleurs de la peau et des draps honorent l'écrivain.
Les portraits de Laure Albin GUillot, montrent son sens du détail et sa proximité assumée avec les pictorialistes. Comme le témoigne Delphine Desveaux « Elle est adepte d'une esthétique dont l'expression est facilitée par des optiques qui flottent et qu'elle a adoptées »
Étude de nu vers 1935 Collections Roger-Viollet / Parisienne de Photographie © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet
Lorsque Laure Albin guillot concentre son art de la photographie autour des mains, la grâce qui s'en dégage est à couper le souffle. La photographe considère cette partie du corps comme « l'aboutissement de la pensée humaine », « qui -y-a -t-il de plus éloquent que les mains » s'interroge -t-elle dans l'une de ses publications. « Les mains de Han harloff » prises vers 1940, révèle la dimension organique et la subtilité des 10 doigts de l'artiste. Les mains y sont sculptées, presque personnifiées, dans un mouvement suspendu. Elles accompagnent une cigarette, un instrument de musique.
Sa quête de « pureté poétique, d'une dématérialisation du corps par la puissance de l'esprit » s'exprime également dans les études de nu de la photographe. Son style est à la recherche du cadrage idéal, et elle n'hésite pas à mettre en valeur un détail l'arrondi d'un sein, une courbe.
Delphine Desveaux témoigne de la dimension classique de ces nus « La continuité de ses thèmes fait de Laure Albin Guillot une gardienne des fondamentaux, une artiste dont le désir n'est pas de pourfendre le dogme; elle est une esthète pointilleuse droite, honnête, fidèle et précieuse qui ne considère pas les acquis comme des carcans ». L'artiste impressionne par la résonance esthétique de ses oeuvres et la délicatesse de ses cadrages. Mais cette intransigeance face à la forme conduit aussi à une certaine grandiloquence, un peu artificielle, que peut l'on peut retrouver dans certaines études de nu.
Étude de nu 1939 Bibliothèque nationale de France © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet
Dans le débat qui anime les partisans et les détracteurs de la photographie en tant que médium artistique, Laure Albin Guillot apporte sa réponse : selon elle, la photographie est un art décoratif, ce dont la seconde partie de l'exposition témoigne. Le discours de la période d'entre deux guerre est encore marquée par la victoire de 1918. Après l'euphorie des années 20, le «style français» devient une des préoccupations majeures, où le nationalisme se dessine en arrière plan. C'est dans ce contexte où « l'art français est perçu comme un arbre solide aux racines profondes et puissantes, une synthèse entre le moderne et l'ancestral », que Laure Albin Guillot propose ses objets décoratifs. Comme le petit paravent sur fond d'or, dont la photo reproduite dans le catalogue de l'exposition témoigne de la finesse du style Albin Guillot.
On peut y admirer, les micrographies qui ont fait la renommée immédiate de l'artiste lors de la parution de son livre "micrographie décorative" en 1931. Delphine Desveaux et Michaël Houlette, signalent la dimension pédagogique de cette proposition esthétique. Loin de toute abstraction, Laure Albin Guillot recherche avec les micrographies des motifs pour les arts appliqués. Une des images du catalogue montre ainsi une lampe et un abat-jour à motifs de micrographie décorative, datant du milieu des années 30. Ces photographies du monde de l'infiniment petit se déclinent en papiers peints, soieries, reliures et objet divers.
L'artiste montre ici ses ressources techniques et ses relations étroites avec la science, en allant puiser ses inspirations vers divers domaines. Laure Albin Guillot participe également de la reconnaissance de la photographie comme art, par la bourgeoisie.
Étude publicitaire sans date © Laure Albin Guillot
Collection Musée Nicéphore Niépce, Ville de Chalon-sur-Saône
« On pense à Blossfeldt, aux naturalisa et aux répertoires de formes abrités dans les cabinets de curiosités depuis la renaissance. Photographies naturalistes ? Arts graphiques? peu importe, ces architectures miniatures sont l'incarnation formelle du « non nova ses nove », nous dit Delphine Desveaux.
Face à ces micrographies, l'on oublie vite la finalité première des oeuvres. On pénètre dans un monde étrange, dont les frontières sont floues et ouvrent l'imaginaire vers un autre horizon. Le caractère psychédélique de ces photographies étonnent par la variété des formes et la virtuosité technique de la photographe. Les trois photographies, « coupe végétale», «graine» et «bourgeon de frêne» mises en valeur par l'espace qui leur est consacré, attirent l'oeil à juste titre.Les micrographies sur plaques autochromes, subjuguent, il est assez curieux de se retrouver face à ces couleurs aux allures parfois futuristes, et aux formes si variées.
Laure Albin Guillot, a pleinement conscience du potentiel économique de ces réalisations. Elle ne produira pas d'autres micrographies mais « exploitera son filon artistique avec des produits dérivés présentés au salon des artistes avec des produits dérivés présentés au salon des artistes décorateurs dès 1927 ».
Outre la dimension esthétique, ces 20 planches d'images saisies au microscope représentent « l'aboutissement magistral d'une réflexion » qu'elle partageait avec son époux. Louis Célestin Guillot, scientifique et musicien, décède en 1929. Par la suite, Laure Albin Guillot subviendra à ses besoins de manière autonome, déployant une carrière des plus impressionnante. Sa renommée déjà importante prends une dimension nouvelle lorsque Paul Léon la nomme chef du service photographique des beaux arts en 1932, qu'elle dirigera jusqu'en 1940.
« L'intensité de sa vie professionnelle étonne : elle travaille pour l'état mais reste artiste, elle expose, publie, organise des expositions » mentionne Delphine Desveaux. Figure majeur du milieu artistique et des institutions culturelles, pionnière à une époque où les femmes sont encore cantonnées à des métiers peu lucratifs et subalternes, Laure Albin Guillot se singularise et mène « une carrière au féminin ». « Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec la dernière exposition de laure Albin Guillot, "des femmes artistes" qui à eu lieu ici même au jeu de paume en 1937 » déclare Marta Gilli, directrice du jeu de paume, lorsqu'elle présente l'exposition. Laure Albin Guillot mit alors à l'honneur 550 oeuvres de femmes artistes, dans le cadre de l'exposition internationale. C'est une prise de position pour un "art au féminin", comme le note Catherine Gonnard « la reconnaissance des artistes femmes, leur professionnalisation sont au centre du propos»
Illustration pour le Narcisse de Paul Valéry 1936 Collection particulière, Paris © Laure Albin Guillot / Roger-Viollet
L'ascension institutionnelle de la photographe continue lorsque en 1930 elle prend la tête de la direction de la cinémathèque nationale naissante. Proche des cercles pour la défense des femmes, Laure Albin Guillot est une féministe militante de la ligue française pour le droit des femmes. Les femmes photographes sont nombreuses à Paris dans les années 30: Gisèle Freund, Germaine Krull, Florence Henri..Pourtant le cas de Laure Albin Guillot est singulier. Comme le témoigne Catherine Bonnard dans le chapitre "une carrière au féminin" du catalogue d'exposition : « Ces fonctions institutionnelles, comme celles de membre de jury de photographes, font partie, pour Laure Albin Guillot, d'une stratégie où se mêle carrière individuelle, passion pour la photographie, affirmation du travail et de la place des femmes »
Personnalité reconnue, Laure Albin Guillot publie en 1933 "photographie publicitaire", ouvrage théorique illustré qui mêle recueil d'expérience et conseils à l'intention des photographes. La photographe possède une vision panoramique de la photographie, elle explique ce que la radio et plus particulièrement le cinéma ont apporté à la photographie. Elle considère sa génération comme très marquée par le cinéma
Sa génération possède en effet un rapport différent à la construction des images . Laure Albin Guillot estime que la narration peut s'exprimer dans sa totalité dans l'image et le texte n'est pas une nécessité. A l'image de cette photographie d'un verre de lait et une assiette de sucre, qui, associés à deux mouches, déclenche sur-le-champ un sentiment de dégoût. (photographie publicitaire réalisée par Laure Albin Guillot pour la vente d'un insecticide.)
Laure Albin Guillot est l'auteur d'une multitude d'annonces de presse, brochures, affichettes et autres prospectus. « Comme tous les professionnels de son époque, elle ne fait pas de distinction de genres, elle envisage sa production publicitaire comme tout autre commande, c'est à dire déterminée par une idée directrice et répondant la plupart du temps à un objectif de vente.», note Michaël Houlette. Ses collaboration avec la publicité se font avec la mode, elle publie alors dans Vogue à la fin de 1922.
Laure Albin Guillot a dès le début conscience des enjeux médiatiques et de communication, de cette presse à fort tirage.
Fidèle à son style figuratif, la grand majorité de sa production publicitaire se destine à des produits de luxe et sa clientèle. Ces compositions, en apparence simples, ne laissent rien au hasard, c'est une méthode empirique que déploie Laure Albin Guillot. Les jeux d'ombre et de lumières qu'elle développe pour les productions "ventouse et feuille de température", et la publicité pour la firme Justin Dupont, hypnotisent le regard. Certaine de ses photographies publicitaires possèdent une profondeur sensorielle et la place accordée à la suggestion stimule l'imaginaire du destinataire.
En plus de ses travaux pour la presse, sa fructueuse collaboration avec la littérature donna lieu à de nombreuse publication. Le dernier espace de l'exposition, se consacre à "l'oeuvre imprimée" de Laure Albin Guillot. Le livre s'inscrit également dans cette stratégie de valorisation propre à l'artiste. Dans une lettre qu'elle rédige à Maurice Guy-Loë en 1954, lorsqu'elle souhaite mettre un terme à sa carrière, Michaël Houlette relève un phrase « J'ai fait entrer la photographie dans la bibliophilie ». Il est extrêmement touchant de voir ces livres parfaitement mis en scène au coeur d'une scénographie ou la finesse est de rigueur. Les liens d'amitié de Laure Albin Guillot, se matérialisent au travers de ces ouvrages d'une rare beauté. Ultime plongée dans l'historique parcours de Laure Albin Guillot, on y ressent particulièrement la présence de Paul Valery. Les planches de Laure Albin Guillot « escortent et commentent » les écrits de Paul Valéry, remarque Raymond Lecuyer. « préludes de claude Debussy », la dernière création bibliophilique, est un véritable poème. Les doubles pages à l'écriture musicale exposent les photographies de Laure Albin Guillot et des fragments de partitions. La série "Ciels" de 16 tirages photographique réalisée avec Marcel Maurette Maurette, porte aussi un onirisme et une délicatesse émouvante. Les images de 1937 et 1938, révèlent une fois de plus la maitrise photographique de Laure Albin Guillot. Cependant, on reste un peu sceptique face à cette glorification de la campagne Française. Malgré la qualité du travail éditorial de "douze chansons de Bilitis",d'une délicatesse artisanale frappante, le talent de la grande dame de la photographie s'y révèle de façon moindre.
Cette exposition est menée avec raffinement à l'image de la grande dame de la photographie Laure Albin Guillot. Parcourir les différentes ramifications de la carrière de la photographe est aussi se plonger dans l'histoire de ce médium auquel elle a voué une passion tout au long de sa vie. "L'enjeu classique" de Laure Albin Guillot mis en valeur par le jeu de paume possède encore toute son intensité photographique.
Manon Froquet