Hiding but still not knowing, 1981-2010 Epreuve ge?latino-argentique digitale re?cente Photographie de Birrer ©Linder
Le musée d'art moderne de Paris nous plonge dans l'ensemble de l'oeuvre de l'artiste britannique Linder Sterling avec l'exposition « Linder - Femme/objet ». Des arts plastiques à la musique, en passant par la mode, cette première rétrospective retrace les différentes formes artistiques investies par l'artiste.
Portée par une sensibilité Punk, Linder sterling, de son vrai nom Linda Muvley, n'a de cesse d'interpeller. Dans la filiation des artistes dada et de la figure d'Hana Hoch, elle compose des photomontages pour mieux déconstruire une vision du monde et expérimenter une nouvelle manière de voir.
Sans titre, 1976 Photomontage original Collage sur page de magazine © Linder
Linder se revendique féministe, un engagement omniprésent dans ses travaux, où elle interroge les représentations de genre véhiculés par les images qui nous entourent. Que signifient ces images préfabriquées de la femme que nous transmettent les médias et la publicité?
Les photomontages de Linder Sterling, s'inscrivent dans la dynamique du "Do it yourself" de la mouvance punk. Une dimension que l'on retrouve dans le choix de matériaux, Linder travaille essentiellement d'images qui proviennent de magazines.
« J’ai toujours aimé les magazines, j’en avais deux piles distinctes, l’une constituée de magazines féminins : mode, romance... L’autre pile était constituée de magazines pour hommes : automobile, bricolage, pornographie (un autre aspect de l’univers féminin). Je voulais faire s’accoupler les cuisines aménagées et la pornographie afin de voir quelle espèce en naîtrait. Je travaillais toujours sur une plaque de verre, au scalpel, très proprement, comme si je faisais un puzzle .»
Sans titre, 1977 Photomontage original Collage sur page de magazine montée sur carton Collection Shane Akeroyd © Linder
Avec un sens du détail et de la minutie, l'artiste met en scène des images de corps préfabriqués, auxquels elle juxtapose celle de fleurs, de sucreries ou encore d'objets de consommation courants. Le vocabulaire de Linder est en place : les objets d'un univers domestique claustrophobique confrontés à la pornographie.
« J'essayais de décoder la pornographie (…) Je trouvais ça très intéressant de créer des images pornos complètement insipides » déclare -t-elle
La construction des images jouent sur la naissance du désir, que se soit pour un nouveau rouge à lèvre, un gâteau ou le sexe. Les photomontages de Linder travaillent par analogie, elle nous montre qu'appel à la consommation et frénésie sexuelle utilisent les même ressorts. Comme cette série en noir et blanc, ou les corps de femmes sont constamment associé au objets de consommation classique des années 70, aspirateur, machine à laver, radio…
Sans titre, 1978 Photomontage original Collage sur page de magazine Collection Shane Akeroyd © Linder
Quant Linder s'attaque aux images pornographiques, ses collages montrent l'absurdité et la violence de ces poses féminines. En jouant sur le décalage de ces deux univers, l'artiste dévoile l'aspect factice et aliénant de ces corps dénudés, ou l'identité de la femme se réduit à son érotisme.
Ces détournements ironiques, mettent également à mal certains canons de beauté masculin présents dans la publicité ou la pornographie gay. Le modèle de virilité témoigne lui aussi d'une forme d'enfermement dans un modèle genré.
Oh grateful colours, bright looks II, 2009 Photomontage original Collage sur photo de Tim Walker © Linder
L'intention est claire, le rôle social attribué à la femme est avilissant. Qu'elle soit représentée comme objet sexuel, ou caractérisée par ses qualités au sein du foyer. Une critique légitime, mais peut-être trop explicite et qui s'essouffle parfois dans un certain manque de nuances du dispositif.
Ou alors la présence quotidienne d'images de femmes érotisées et standardisées, n'interpelle plus notre regard déjà trop accoutumé.
Cependant, un collage marque et se détache d'une certaine uniformité ressentie au fil de l'exposition. C'est celui d'un couple à la pose classique, ou la femme se perce les yeux à coup de fourchette. Ces yeux exorbités et transpercés marque le regard et brise d'un même mouvement l'idylle romantique surmédiatisée. Linder tranche le regard à coup d'ustensile ménagers, tout en cultivant ici l'art de la suggestion.
Sans titre, 2009 Photomontage original Collage sur double page de magazine © Linder
Certain aspects contestataires des travaux de Linder trouvent toujours un écho en 2013. Elle nous pousse à nous interroger à nouveau sur la représentation de la femme, véhiculée par les images de notre société. L'aspect obsolète et conservateur de la pornographie, que Linder dénonce est également toujours de mise. Mais le rôle traditionnel assignée à la femme a également évolué. La figure de la ménagère fait partie de son histoire certes, mais les enjeux féminins ne se trouvent-ils pas ailleurs désormais? Les images de Linder interrogent sur le complexe processus d'émancipation de la femme au fil du temps. Dans un horizon plus large, elle prône une position critique et distanciée dans notre rapport aux images.
Oh grateful colours, bright looks VI, 2009 Photomontage original Collage sur photo de Tim Walker © Linder
L'énigmatique Linder Sterling, semble fascinée par le corps, son instrumentalisation, sa commercialisation, sa violence mais aussi sa vitalité. Un étude auquelle sa propre personne n'échappe pas, elle le travaille tel une matière première " je me suis toujours traité comme un objet trouvé "dit-elle.
C'est quand elle se met en scène, avec une distance troublante que Linder nous touche le plus. Dans les portraits photographiques de Birrer, elle possède une grâce provocatrice, le geste y est interrogateur, tout comme le charisme de Linder. Elle endosse également le rôle de la ménagère, et marque son rejet de cette figure avec humour dans une série de photo-montages.
Troïka, 2008 Photomontage original Collage sur page de magazine Avec l’aimable autorisation de Maureen Paley © Linder
Charisme, tout aussi présent dans la personne de Morissey et retransmis par Linder dans ses portraits du chanteur. Les clichés en noir et blanc, prennent le pouls de la scène, dans un jeu de lumière ou l'élan vital reprend ses droits.
Membre à part entière de la scène Punk de Manchester dans les années 80, c'est probablement dans ses performances scéniques que Linder provoque le plus. La vidéo d'un de ses concerts avec son groupe Ludus, montre la vitalité transgressive qu'elle déploie sur scène. Une robe avec des restes de viandes et un god michet comme costume, le féminisme rejoint ici l'antispécisme deux mouvements dans le sillage du Punk. Linder impressionne, mais le temps a aussi laissé sa trace depuis 1982, et l'aspect subversif a perdu de sa force.
Cette rétrospective, dont le commissariat a été confié à Emmanuelle de l’Ecotais présente près de 200 oeuvres. La scénographie pertinente, fait raisonner les différentes facettes de l'oeuvre de Linder. Les premières salles s'organisent autour des débuts de l'artiste à Manchester. L'exposition s'ouvre autour de la série de photographies "A light with nothing to rest upon". Véritable témoignage des clubs gays des années 1976 et 1977, à Manchester. Des clichés intimes, qui montrent cet entourage comme un espace de liberté, face aux normes sociales en vigueur dans une ville sinistrée à l'heure du Tatchérisme.
Sans titre, 1979 Photomontage original Collage sur page de magazine © Linder
Dans la salle principale, de subtils rideaux transparents, séparent les compositions de Linder. On y trouve la série "Les chamans et leurs créatures", des collages où poésie et ironie se croisent sur des contrastes de couleurs flamboyantes. Les citations de l'artiste accrochées au murs du musée d'art moderne fonctionnent comme un ensemble de métonymies de l'oeuvre de Linder. Tel que cette phrase " le fait que les femmes ont plus d'une paire de lèvres est au centre de mon travail ".
Ce voyage dans l'oeuvre de Linder depuis les années 80 jusqu'à nos jours se clôt avec une série d'oeuvres sous plexiglas qui fait froid dans le dos. Exposés comme des affiches publicitaire, ces collages percutent et le dispositif d'exposition accentue cette brutalité. Le vertige s'installe dans la vision déroutante de la rencontre d'une femme dont on tire le lait et les images édulcorées qui l'entourent.
L'actualité de la pensée de Linder et la qualité de son travail plastique interpellent toujours, mais l'on souhaiterait qu'elle brise la glace et ouvre sa palette de nuances. On penserait quitter l'exposition avec l'envie de crier, à l'image des propos de Linder : "il m'arrive d'entrevoir Linder à 80 ans, criant encore. C'est ainsi que je suis née et c'est sans doute ainsi que je mourrai."
"Femme-objet" nous mouvemente, nous intrigue mais ne nous malmène pas. La virulence des oeuvres de Linder, semble être victime de la poussière du temps. la force d'interpellation de Linder se serait-elle saturée ?
Manon Froquet
Linder, « Femme-objet » au Musée d'art moderne de la ville de Paris, jusqu'au 21 avril 2013