Un carré noir estampillé de ces initiales « WL ». S'il s'agit bien d'un livre, ce qu'il renferme reste secret. La première page résout une énigme tout en en posant une autre. « WL », c'est le titre : Women Lightscape 2008/2012, suivi du nom de l'auteur Hervé All. Bien que les informations élémentaires aient été livrées, le mystère s'épaissit : quel est le thème de l'ouvrage ? Qu'est-ce qu'un lightscape ? Qui est Hervé All ? Une biographie de ce jeune artiste français, « rêveur lucide [qui] ne se définit pas comme un photographe », répond immédiatement à cette dernière question. Cependant, il faut attendre la première photographie pour identifier ce livre à un « intervalle où notre existence […] est à repenser ».
© Hervé All
Comme la clef qui ouvrirait la boîte de Pandore, cet unique texte introduit une série de photographies qui bouleversent nos réflexes perceptifs. Support de l'image, l'ombre du carré noir persiste à interroger sur ce qu'il encadre. L'obscurité de ses angles se dégrade pour laisser briller de rares points lumineux. De leur faisceau apparaissent des corps, lesquels s'impriment dans le décor d'un intérieur tamisé jusqu'à l'évanescence. Hervé All efface les frontières. La matérialité des éléments familiers s'écroule devant l'objectif. Profitant de l'intimité d'une pièce sombre, la géométrie des contours et les courbes des corps féminins s'interpénètrent. La première barrière, celle de la dimension spatiale, est éclatée. Ce qui choquera nos sens concerne la réalité même de ces corps. Si l'éclairage concrétise le galbe d'un sein ou d'une cuisse, il confond les membres, les dédouble ou les oublie. En utilisant sa « source de lumière non seulement pour faire poindre un détail mais aussi pour aller au-delà de la surface », le photographe transgresse les codes établis de la perception. C'est à la pointe de sa lampe qu'il libère le regard de ses habitus. Au cours de cette « performance », il déploie les corps, étire ses possibilités, brouille sa présence. Une unique photographie renvoie un dos à lui-même, un torse s'y fait face ou s'y surplombe, une jambe s'y quadruple, le corps s'y démultiplie. Emancipés de leur enveloppe charnelle par la photographie, chacun des éléments anatomiques conquiert son autonomie au-delà de la cohérence morphologique. Le visage s'anime indépendamment de son support stoïque, il se déforme au gré de ses propres mouvements. Une seconde barrière est abattue, celle de la biologie.
© Hervé All
La photographie d'Hervé All conjugue le rêve avec la réalité. Son esthétique vaporeuse, permise par les poses longues et une luminosité minimaliste, imprime la trace du temps au cœur de l'image. Le cliché synthétise le parcours d'un personnage à travers l'espace-temps en un éventail de silhouettes qui interagissent entre elles. La série « Portrait» dévoile une galerie de figures aliénées par la durée de leur exposition. La peau se distend, les bouches se tordent, les expressions s'amalgament. Le portrait se dérobe derrière la succession de traces, empreintes d'un mouvement passé. Alors que la superposition des poses laisse certaines parties du corps s'évaporer dans le décor, elle en renforce d'autres. A travers une exploration de la lumière, le photographe travaille la matière à la manière d'un peintre. Certaines de ses photographies rappellent l'oeuvre de Francis Bacon, notamment les portraits de John Edwards. Au centre d'un intérieur clos, aux couleurs simples- rideaux rouges par exemple-, sur un lit ou une chaise en guise d'estrade, se liquéfie ou se dilate un corps qui devait être humain. Comme un clin-d'oeil, un chevalet s'immisce parfois dans l'arrière-plan de l'image.
© Hervé All
« De tous les âges, de tous les milieux sociaux, de toutes les morphologies », les femmes de Women Lightscape offrent une nudité naturelle alors qu'Hervé All la transforme en un espace de « possibles » et de transcendance au sein de l'ordinaire. Suivant un théorème constant- un objectif, une lampe de poche, un longue exposition- il joue avec les a priori de notre perception bien éduquée. Ces femmes « normales » deviennent, sous l'impulsion de l'illusion picturale, bien plus que des spécimens de pathologie anatomique, des « ouvroirs de photographie potentielle ».
© Hervé All
Orianne Hidalgo
Photos et vignettes © Hervé All
Women Lightscape 2008/2012
Hervé All
84 pages, édité à 1000 exemplaires avec le soutien d'Arthéos
textes de Céline Moine http://www.celinemoine.com
version bilingue français / anglais
17,5 x 17,5 cm
20 euros
Point de vente :
Musée d'Art Contemporain de Lyon
81 quai Charles de Gaulle
69006 Lyon, France
Téléphone : http://www.celinemoine.com
Livre dédicacé, envoi postal France uniquement (+4€ frais de port)
commande : http://www.celinemoine.com