© Nan Goldin
Nan Goldin découvre la photographie à l'adolescence. C'est une tragédie, le suicide de sa sœur aînée, qui suscite chez elle un désir de retranscrire la mémoire à travers les images pour ne plus jamais perdre le souvenir d'un proche. « Pendant des années, j’ai cru que j’étais obsédée par le besoin de rapporter chaque fait de ma vie de tous les jours. Mais j’ai réalisé récemment que ma motivation avait une raison d’être bien plus profonde : je ne me souviens pas vraiment de ma sœur. Je me souviens d’une version d’elle, des choses qu’elle disait, des choses qui avaient un sens pour moi. Mais je ne me souviens pas de qui elle était réellement, de sa présence ; de ses yeux, de sa voix. Je ne veux plus jamais avoir à dépendre de la version de mon histoire vue par d’autres. Je ne veux plus jamais perdre le vrai souvenir d’une personne. » Dans la préface du livre, elle dédie le livre à sa sœur qui apparaît sur une photographie de famille de Nan Goldin « Barbara en face de la maison de famille, Silver spring, Maryland, 1964 ».
Après des études d’arts à Boston, elle s’installe dans la ville de New York et photographie sa « famille » élargie : ses amis et ses amants à l’époque des années 80. La photographe américaine entretien une relation particulière entre sa vie et son œuvre. Entre journal intime et documentaire, la ballade de la dépendance sexuelle raconte avec sincérité et spontanéité le quotidien de Nan Goldin, marqué par l’amitié, l’amour, la sexualité, la fête mais aussi par la drogue, la violence et la mort.
© Nan Goldin
© Nan Goldin
La ballade de la dépendance sexuelle paraît sous la forme originale de diaporamas accompagnés de musiques telles que le Velvet Underground ou encore James Brown. L'œuvre est présentée pour la première fois dans un club New yorkais. En 1986, La maison d’éditions américaine Aperture édite La ballade de la dépendance sexuelle, il s’agit du premier et du plus célèbre livre de la photographe. La chronique de sa vie et le portrait de ses proches construit l'autobiographie et la photographie de famille « élargie » de Nan Goldin. Dans l'ouvrage, son journal intime traverse les villes et les pays de Boston à New York en passant par Berlin, Paris ou Mexico pendant près de quinze ans. Nan explore les possibilités de l'écriture de soi avec la photographie.
A travers son œuvre, Nan Goldin présente une réflexion sur la dépendance amoureuse, elle photographie ses amis hommes et femmes mais aussi ses parents ou un ancien couple de mexicain lors d'un voyage. Le récit de son histoire avec son amant Brian a une place importante dans le livre, jusqu'à l'autoportrait qu'elle réalise après avoir été battue par lui. La photographie violente et viscérale est essentielle à la prise de conscience de Nan Goldin. Par ailleurs, le lit est un espace symbolique dans La ballade de la dépendance sexuelle, c'est là où les gens dorment, se réveillent, s'embrassent, font l'amour et se séparent.
© Nan Goldin
© Nan Goldin
Les couleurs saturées, la lumière artificielle du flash et le flou sous les effets de la drogue et de l'alcool, construisent le style photographique de l'artiste inspiré par la photographie de famille. Le titre du livre « la ballade » invite à une lecture libre de l'oeuvre, en effet le récit photographique ne respecte pas de chronologie particulière. Certaines correspondances apparaissent, le voyage au Mexique de Nan et Brian, les fêtes avec ses amis, la sexualité, mais aussi les échos entre des lieux et des objets ; il y a beaucoup de clichés dans des chambres, des salles de bains et une récurrence du miroir, un objet très symbolique dans l'oeuvre de Nan Goldin.
« Pour moi, l’instant où je photographie n’établit pas de distance ; il me rend au contraire plus lucide et me permet de me connecter avec mes émotions. On a souvent l’idée que le photographe est par nature un voyeur, le dernier invité à la fête. Mais ici, c’est moi qui invite ; c’est ma fête. C’est ma famille et mon histoire. »
© Nan Goldin
Nan Goldin documente sa vie avec réalisme, elle montre son quotidien tel qu'il est. Son témoignage personnel s'intéresse à des sujets universels : aux relations hommes et femmes, à la condition humaine. L'oeuvre de Nan Goldin s’inscrit parmi les grandes références de la photographie contemporaine et inspire désormais de nombreux artistes. La réédition de La Ballade de la dépendance sexuelle par les éditions La Martinière démontre l'universalité et l'intemporalité de l'oeuvre et permet de redécouvrir l'univers de l'artiste. Dans un épilogue rédigé en février 2012, Nan Goldin évoque ses souvenirs, la disparition de ses proches et la signification de son travail.
« En 1996, dix ans après sa publication, le livre est devenu pour moi une chronique de deuil, tout en restant une ballade d'amour. Maintenant, vingt-cinq ans après sa publication, les pertes ne s'effacent pas – le temps n'y change rien. L'amour est toujours là, mais il s'y ajoute d'autres figures importantes. La continuité a persisté, mais la liste des personnages s'est étendue à d'autres amis, essentiellement en Europe. Je regarde La Ballade et je vois la dynamique de l'amour et de la haine, de la douceur et de la violence, ainsi que les ambivalences entre les relations humaines...D'une certaine façon, l'image de la meurtrissure en forme de cœur pourrait être le symbole de tout le livre. » Nan Goldin
La ballade de la dépendance sexuelle de Nan Goldin
Editions de la Martinière
147 pages
39 euros
Vignette & photos © Nan Goldin
Justine Mahé