Le Jardin, c'est un lieu oublié que l'objectif d'Alessandro Imbriaco nous autorise à pénétrer. Il couronne quelques cinq années de reportage sur les habitats précaires créés par des travailleurs immigrés à la périphérie des villes italiennes. Poussé par la volonté de cartographier « ces lieux [où se réfugient des immigrés récents], non sous l'angle de la dénonciation d'une situation sociale ou par misérabilisme, mais cherchant à évoquer une aspiration commune à tout un chacun : le « chez-soi », le photoreporter termine sa course ici, sous un viaduc de la rocade est de Rome... « le Jardin ».
© Alessandro Imbriaco
Ce livre ne se lit pas. Il se découvre, s'apprivoise, se révèle. Le rythme au fil duquel on tourne ses page figure celui des pas d'Alessandro Imbriaco. Comme nous à travers son ouvrage, « jetant un coup d'oeil sur une zone boisée en contrebas d'un viaduc, Imbriaco y repéra une construction où se tenait un homme. Fasciné, il s'arrêta pour aller voir [...] » nous confie Bill Kouwenhoven dans la postface.
A chaque page suffit une vision, une photographie. Cernant l'image, l'espace blanc souffle le silence imposé par la découverte. Saisis depuis le cœur de cette zone en marge de la ville, sous une lumière crépusculaire, emmêlés de lianes et de feuillages, ces clichés ne se dénudent pas devant l'oeil du spectateur. Il nous faudra d'abord nous acclimater à l'esthétique mélancolique du photographe et à ses couleurs cendrées, puis scruter la profondeur de son champ pour espérer capter ce qui s'y raconte.
© Alessandro Imbriaco
Au détour de certaines photographies, par dessus la pénombre du premier plan, au loin, entre le tissage des branchages, le regard surprend la pointe d'un toit, la silhouette d'une barre d'immeubles, ou le squelette métallique d'un pont périphérique. Comme autant d'indices, le photographe permet à la ville d'apparaître un instant pour situer ce qu'il nommera « le jardin d'Angela ».
Angela, c'est le corps frêle d'une enfant de six ans enlacé par les branches. Quelques photographies plus loin, dans un cadre de verdure, son père, Piero, immigré de Sicile, défie l'objectif. Tapie derrière la vigne vierge, sa mère, Luba, exilée de Russie, dévoile son visage. Au creux des pages enfin, nous sommes accueillis dans le dernier cercle de leur intimité : une modeste cabane nichée sous le viaduc. Cette forêt, c'est leur domaine, leur asile. « Zone autonome temporaire », c'est ici, hors du temps et de l'espace, qu'ils se sont reconstruit un habitat, une existence, un rapport au monde. Le bois marécageux leur laisse une place que la société moderne, la bureaucratie et l'Etat leur interdit.
© Alessandro Imbriaco
Bien que le regard esthétisant d'Imbriaco sur cette famille estompe une réalité sociale brutale, il échappe au voyeurisme du documentaire cru et racoleur. Avec les morceaux de vies considérés comme « illégales », Imbriaco crée un conte poétique avec cette particularité que les protaganistes survivent à quelques pas de nos chaumières. Il faut lire son commentaire dans la palette de couleur, la gestion de la lumière, le cadrage frontal ou dans les contrastes de matière. Le Jardin est non seulement la rencontre d'une famille mais aussi celle de l'Art avec le reportage. Alessandro Imbriaco nous rappelle qu'être photojournaliste c'est une valeur-ajoutée, une subjectivité assumée, et surtout un contact humain. Sa sensibilité redonne un statut à « eux », les immigrés chassés et pourchassés par un système technocrate et sélectif. La tonalité fantastique qui règne dans ce travail rappelle que la misère et l'oubli dans lesquels l'Etat abandonne nombre d'individus, n'annihile en rien la dignité de ces familles qui partagent les aspirations de tous. L'ignorance est mère de la peur.
© Alessandro Imbriaco
Le Jardin
Alessandro Imbriaco
éditions Actes Sud
80 pages
26,8 x 20 cm
32 euros
Orianne Hidalgo
Photos et vignettes © Alessandro Imbriaco