© Arnold Odermatt
Arnold Odermatt est un photographe suisse né en 1925. Entré dans la police en 1948, il mêle sa passion pour la photographie à son métier : pour enrichir les rapports de police concernant les accidents de la route, il a l’idée de substituer les croquis habituels à des photographies plus réelles. Si cette initiative parait dans un premier temps saugrenue à ses collègues, ils s’habituent à ce nouvel appareil : Arnold Odermatt en profite pour immortaliser avec son Rolleiflex la vie de la police suisse du petit canton de Nidwald en photographiant ses collègues en service.
A sa retraite en 1990, il a constitué une importante collection de clichés, mais demeure inconnu hors de son canton. Il faut attendre l’action de son fils, le réalisateur Urs Odermatt, pour que le talent d’Arnold Odermatt soit reconnu : présenté en 2001 à la 49e Biennale de Venise, le travail du photographe est loué. Une véritable « légende » d’Arnold Odermatt se diffuse alors, celle d’un photographe au talent brut puisqu’il n’a jamais étudié la photographie ou ses techniques. En 2012, une monographie de cet artiste paraît aux éditions Diaphane, qui permet de cerner l’identité artistique d’Arnold Odermatt, tout en ayant un aperçu des paysages et de la vie d’un canton suisse des années 1940 à 1990.
© Arnold Odermatt
© Arnold Odermatt
C’est le style d’Arnold Odermatt qui subjugue en premier les spectateurs. Il est à la fois plein de sobriété et d’authenticité : sa chambre noire se situe tout d’abord dans les toilettes vétustes du poste de police, les photographies d’accidents de la route doivent être épurées pour imager le plus fidèlement possible les rapports écrits de police.
Pourtant, l’identité du « policier-photographe » s’affirme : une esthétique graphique, surréaliste se dégage des clichés. Le cadrage est intéressant : il ne se contente pas d’un gros plan de la voiture accidenté. Au contraire, il joue avec les attentes que le public pourrait avoir, alternant les gros plans presque abstraits des pièces de la voiture et les plans d’ensemble qui permettent d’ancrer la voiture accidentée dans un paysage plus global. Le calme de ce dernier jure avec le drame de l’accident qui s’est déroulé. Contrairement à la série Crash de James Graham Ballard, Arnold Odermatt refuse tout « trash », préférant jouer avec la géométrie de l’environnement, rendant la scène presque irréelle.
© Arnold Odermatt
© Arnold Odermatt
Dans ses prises des policiers en service, un même caractère pittoresque ressort des clichés. Il préfère une vue d’ensemble de ces individus, pour les inclure dans l’environnement de leur bureau ou de la campagne suisse.
Au travail indéniable sur la composition de la photographie s’ajoute un intérêt particulier porté aux couleurs. Alternant les clichés en noir et blanc avec ceux en couleur, Arnold Odermatt parvient une nouvelle fois à surprendre et intriguer son lectorat. Lorsque les photographies sont bicolores, l’artiste s’amuse avec le brouillard, le mysticisme permis par le noir et blanc pour rendre ses clichés d’un romantisme, voire même d’un gothisme, étonnant. Quand il fait le choix de la couleur, ce n’est jamais innocent : il aime accentuer certains tons pour mettre en avant des détails importants à ses yeux.
© Arnold Odermatt
© Arnold Odermatt
Le travail d’Arnold Odermatt présenté dans cette monographie est percutant pour comprendre la vie de la Suisse centrale à la fin du 20e siècle. Et pourtant, le lecteur n’est jamais sûr de la réalité des clichés tant la composition presque cinématographique ou sculpturale rend le cliché trop pittoresque, trop onirique pour être vrai. Totalement déroutante, cette monographie est très intéressante : elle confirme le côté « légendaire » d’Arnold Odermatt qui, bien qu’amateur, a réussi à utiliser une naïveté créative très efficacement comme d’autres artistes « outsider » tels Miroslav Tichy.
© Arnold Odermatt
Photographies d’Arnold Odermatt – Texte de Caroline Recher
80 pages / format 21 cm x 21 cm
25 euros
Diaphane éditions
Claire Barbuti