
© Pascal Lebrun
La fabuleuse aventure de Pascal Lebrun commence un jour de 1971. Toujours lycéen mais déjà photographe, il sèche son cours de gym pour aller couvrir une conférence de presse au siège du tout jeune parti socialiste. Il rencontre François Mitterrand, qu'il ne cessera de suivre lors de ses déplacements jusqu'à la mort de l'ancien Président en 1995. Pascal Lebrun corrigera : « Plus précisément, je l'ai précédé, vu que je le prenais en photo ! »
Il couvrira ainsi plusieurs décennies d'actualité politique, sociale et artistique, vendant ses clichés pour de nombreux médias, du journal Le Monde, à Paris Match en passant par Charlie Hebdo. Ses photographies ont été utilisées également dans une cinquantaine de livres, des dizaines de films documentaires, et c'est au pied d'un de ses clichés que des milliers de roses ont été déposées place de la Bastille le lendemain de la mort de François Mitterrand.
François Mitterrand et Pascal Lebrun
Alors que les relations entre les deux hommes ont toujours été droites mais sans familiarité, un jour de 1977, la curiosité de François Mitterrand l'emporte : « Dites-moi Pascal, qu'allez-vous faire de toutes ces photos ? ». Pascal Lebrun lui répond que son « ambition n'était pas de (s)'en tenir à la parution des clichés dans la presse (…) mais (qu'il) éditerait des livres ». François Mitterrand, content de cette réponse tout en étant amusé, s'exclame un « Bien, très bien ! » qui marquera le photographe. Après le premier livre Pour Mémoire qui n'est pas resté dans les mémoires, Pascal Lebrun revient dans les librairies avec l'ouvrage Mitterrand dans l'oeil du photographe. Il y réunit quelques-uns de ses clichés les plus emblématiques, parmi les milliers de photographies immortalisées durant près de trente ans d'activité auprès de François Mitterrand. C'est un homme, c'est un président, que dis-je, c'est l'Histoire qui est ici présentée au spectateur !
© Pascal Lebrun
François Mauriac surnommait son ami François Mitterrand « le Florentin », en référence à l'art de l'esquive prédominante sous la Renaissance. Si les critiques étaient nombreuses concernant la propension de l'ancien président à la discrétion, l'oeil photographique de Pascal Lebrun permet de mieux connaître cet homme.
En effet, si aucune photographie n'a été prise dans l'intimité du président, il est intéressant d'observer le président dans son évolution publique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Pascal Lebrun avait du flair : il a suivi François Mitterrand alors qu'il n'était que tout jeune secrétaire du parti socialiste. Il a tout de suite cerné la carrure de potentiel président de cet homme. Les premiers clichés pris magnifie ainsi l'homme, la plupart étant en contre-plongée.
Le photographe est libre dans ses prises de vue. On décerne sur beaucoup de clichés l'oeil bienveillant d'un Mitterrand, qui valide en quelque sorte l'entreprise de Pascal Lebrun. Ce dernier n'a pourtant jamais été son photographe officiel. D'ailleurs, après l'élection de 1981, le photographe se voit refuser certaines entrées, ce qui n'était jamais arrivé jusqu'alors.
© Pascal Lebrun
Cette atmosphère plus solennelle, plus pesante de l'Elysée se ressent dans les clichés du photographe. Il crée une mise à distance plus importante avec le modèle de ses prises de vue, il se permet moins de pittoresque. Avant ce cap de 1981, Pascal Lebrun n'hésite pas à saisir sur le vif les moments d'authenticité, telles les photographies cocasses de la petite sieste de Mitterrand dans un avion, de la pesée d'un saucisson à Saint-Jean-de-Gard, ou les sortes de grimace du président faites lorsqu'il est en plein discours. De même, il s'amuse avec les possibilités du médium photographique : par exemple, il présente certains clichés comme s'ils avaient été pris d'un Photomaton.
Si l'organisation de l'ouvrage est chronologique, Pascal Lebrun met en parallèle sur certaines pages deux photos, l'une de l'avant-1981, l'autre de l'après, prises dans une situation plus ou moins similaire. La différence est flagrante et amusante, entre ce jeune Mitterrand qui n'a pas encore intégré tous les codes de la vie politique, et le Président à la stature majestueuse.
© Pascal Lebrun
Les photographies sont en noir et blanc, indiquant leur ancrage dans un passé qui semble révolu, mais qui ne l'est pas tant que ça. Il est ainsi cocasse et amusant pour le public d'apercevoir plusieurs figures politiques contemporaines à leurs débuts : on peut apercevoir entre autres un discret Jean-Marc Ayrault, Bertrand Delanoë aux cheveux longs, Michèle Alliot-Marie bien souriante face aux rugbymen ou encore Jean-Luc Mélenchon heureux d'être dans le sillage de François Mitterrand. Quelques citations sillonnent le livre qui, mises en parallèle avec la situation actuelle, enchante un spectateur ironique : « en politique, on n'a jamais d'enfants. Des amis rarement. Des disciples pas longtemps. Mais une filiation, même spirituelle, ça non ! » clamait François Mitterrand en 1995 …
© Pascal Lebrun
Ce livre, préfacé par une Mazarine Pingeot touchante, est un formidable témoignage de la vie et du parcours de François Mitterrand. Le choix des dimensions est toujours parfait, alternant les petits formats lorsqu'il s'agit de prises sur le vif et les grands formats pour montrer toute la grandeur de cet homme d'exception.
Mitterrand dans l'oeil du photographe, Photographies de Pascal Lebrun – Préface de Mazarine Pingeot
172 pages – 21 x 30 cm
Editions du Cherche Midi
32 euros
Claire Barbuti