
Mick Bulle, de son vrai nom Michael Morand, est né en 1980 à Blois. Enfant unique, il s'invente très jeune des histoires, créant son propre monde imaginaire autour de lui. En grandissant, cet univers le poursuit : il sera à la base de son travail artistique, décalé tout en étant intimiste. La photographie lui apparaît comme un moyen de faire partager ses émotions et d'exorciser ses peurs.
Dans son premier ouvrage, Les égarés, Mick Bulle nous invite à entrer dans son « Bubble Park », monde peuplé d'être humains, de créatures toutes plus sombres les unes que les autres.
La Transie © Mick Bulle.
Répondant au concept de sublimation freudienne des obsessions et des terreurs, Mick Bulle cherche à canaliser l'énergie et les craintes qui le travaillent depuis l'enfance en une création photographique. L'ouvrage est composé de trois « degrés » (Troubles, Confusions, Divagations), qui rappelle le vocabulaire de la folie, de la psychanalyse.
Les Troubles Jeux © Mick Bulle.
Il faut bien l'avouer : le spectateur ne peut que se demander par moments si cet artiste n'est pas en effet totalement fou, au bord de la paranoïa, tant les images de la mort semblent le hanter. Ainsi, dans chacune des photographies, une référence à la mort se glisse : du sang, un arbre mort, un corps étendu, … Ces renvois morbides sont d'autant plus mis en avant que le format du cliché est allongé, horizontalement ou verticalement, uniquement dans le but d'imposer à l'oeil spectateur ces sombres références : en les faisant ressurgir au centre, le public ne peut passer outre. Les spectateurs peuvent même être dérangés, voire répugnés parfois : certains clichés se veulent dérangeants, comme lorsque c'est un enfant qui se retrouve au milieu de cet univers morbide.
Le jour idéal © Mick Bulle.
Pourtant, l'artiste n'est pas si déprimant que l'on pourrait le croire ! En effet, il allie ses peurs les plus profondes, que beaucoup ont aussi, à un humour acerbe, comme une façon de dédramatiser la grande faucheuse. L'ouvrage se finit par une photographie-autoportrait, où un doigt d'honneur se balade : sa façon à lui de dire à la mort « d'aller voir ailleurs si j'y suis ».
La Bienvenue © Mick Bulle.
Le spectateur oscille entre la peur et l'onirisme. En plus du septième degré, Mick Bulle inclut dans ses clichés de nombreuses références au septième art. Grand amoureux de tout ce qui touche à l'image, Mick Bulle a réalisé plusieurs courts-métrages remarqués lors de festivals du film fantastique. Son univers photographique est teinté également de nombreuses références cinématographiques : impossible de le regarder sans penser au monde fantasmagorique expressionniste, que ce soit le cinéma pionnier allemand ou tous ses successeurs (tels Henri-Georges Clouzot, Tim Burton). De mystérieux personnages mélancoliques aux traits outrancés se croisent dans un paradis d'ombres déformées. Des contre-plongées sont utilisées, comme dans l'esthétique expressionniste, pour magnifier les peurs humaines, mais aussi pour déformer la réalité.
Pour aller au delà de ce réel, l'univers littéraire est aussi convoqué, notamment Lewis Caroll avec une adaptation personnelle par Mick Bulle d'Alice et du chapelier fou.
Le Cornet © Mick Bulle.
Tout ce métalangage artistique a un but : faire sortir le lecteur/spectateur de ses propres craintes et l'entraîner un nouveau monde. Mark-Henry Trimbach-Léger dans l'introduction de l'ouvrage rappelle qu'il y a trois périodes différentes durant le sommeil : le cycle « circadien » qui correspond au sommeil léger, le cycle « utradien » où l'on se coupe du monde extérieur, et le sommeil paradoxal où le corps est en atonie musculaire, mais pas le cerveau. Dans Les égarés, Mick Bulle propose une quatrième phase, qu'on pourrait appeler « le cycle myckbuldien » : offrir au public un rêve éveillé.
La Désorientée © Mick Bulle.
Avec un tel ouvrage, Mick Bulle prend des risques : proposer un tel univers ne peut laisser indifférent. Entre images dérangeantes, sanglantes ou cinglantes, l'effet ne peut être qu'à double tranchant : soit l'on adhère en s'identifiant au vertigo de ses peurs, soit l'on adhère pas du tout en ayant des sueurs froides face aux clichés de ce chapelier fou ...
Les égarés, Mick Bulle
120 pages – 20 x 25
Editions Dubuisson
29,90 euros
Claire BARBUTI