
© Denis Grozdanovitch
Denis Grozdanovitch, écrivain, publie ici des photographies, prises de 1978 à aujourd'hui, et les accompagne de textes descriptifs. « Rangées dans d'énormes classeurs, elles ressemblent aux textes qu'il a commencé à publier bien plus tard. On y trouve un goût certain pour les maisons ruinées, les jardins à l'abandon, les puissantes averses, les bouts du monde. Des amis passent, certains sont morts, d'autres peignent inlassablement le même arbre, pour chacun il y a une histoire. On habite Paris, l'Aveyron, puis la Nièvre. Judith, la compagne, est de tous les voyages : en Toscane, dans les îles grecques, dans les montagnes de Tasmanie, elle est le visage unique qui rassemble ces années éparses. En écrivant sur ses photographies, Denis Grozdanovitch se livre à un exercice dans lequel il excelle : la chronique mélancolique ».
Les photographies de Denis Grozdanovitch ont un style soigné. Le cadrage, la lumière, le noir et blanc et la couleur sont parfaitement maîtrisés. Construit comme un carnet de croquis de moments intimes, le lecteur est plongé dans ces moments mélancoliques que Denis Grozdanovitch a capturé et gravé sur une pellicule.
© Denis Grozdanovitch
« Depuis mon plus jeune âge, hanté par l'idée que nos meilleurs moments, nos enthousiasmes et nos visions étaient voués à sombrer presque immédiatement dans l'oubli, j'ai commencé à prendre des notes dans mes carnets et, dès que mon père m'eut offert mon premier petit Kodak portatif, j'ai également entrepris de collectionner les instantanés, espérant ainsi sauvegarder, du moins pour quelque temps, les traces de mes éblouissements ».
Dans un format original, le photographe est aussi l'auteur. Usant de sa plume et de son œil, il décrit avec exactitude et poésie ces moments « éblouissants ». Sous la forme d'un calendrier, le texte est écrit dans la longueur des plages. Ce livre ne se lit pas d'une traite, il faut le feuilleter doucement et au fil des jours. Selon son humeur on choisit une photo, on se laisse emporter par celle-ci puis par le texte poétique de Denis Grozdanovitch.
Quelques « traces d’éblouissements » :
© Denis Grozdanovitch
« Je ne parviens plus a me souvenir pour quelle raison exacte, par ce jour de grand vent et de grande pluie, j'avais soudain décidé de quitter mon confortable fauteuil de lecture près de la cheminée et m’étais aventuré dans les bois en pente derrière la maison (...) A un certain moment, tandis que je m'évertuais ainsi, contournant péniblement un grand champ spongieux délimité par des barbelés, j'ai aperçu cette ligne d'arbres harcelée par une meute de nuages en furie. Pour une fois, j'ai un peu de mal à me remémorer ce qui a bien pu me fasciner dans ce spectacle puis me déterminer, trempé comme je l'étais sous la pluie insistante et pressé de réintégrer mes pénates, à saisir mon fidèle Minox et à fixer l'image de cet anodin coin de campagne assombri par la tempête. Cependant, si ! Car, à bien l'examiner, je crois soudain me rappeler le sentiment qui me poussa à saisir ce cliché : une sorte de commisération fraternelle pour cet arbre qu'on aperçoit à l'extrême gauche, dont l'attitude à la fois ébouriffée et hiératique en tête de la colonne de ses congénères (qui semblent se couler peureusement en file indienne derrière lui), m'a semblé symbolique de la secrète vaillance qu'il fallait aux grands arbres pour endurer ainsi sur une lande désolée un tel assaut des intempéries, a fortiori lorsque votre ancienneté et vos probables mérites vous ont promu chef de file ! »
© Denis Grozdanovitch
« Je débute souvent des randonnées à pied depuis la place de la mairie de Brèves où se situe cette maison abandonnée. A chaque fois, je suis saisi par la grâce désuète de la vigne qui, à la manière d'un élégant paraphe, orne la façade, laquelle avec sa petite ouverture ovale typique de cette région, se porte à imposte, ses volets rouillés, ses fenêtres obstinément obturées au premier étage, puis enfin les plantes sauvages qui poussent entre les pavés disjoints du trottoir qui la borde, continue d'évoquer un genre de vie paysanne définitivement révolu. Style de vie dont j'ai connu les derniers instants dans mon enfance quand, depuis Villiers-sur Yonnes où chaque été je séjournais avec mes parents, je venais à vélo hanter ces lieux. Oui, la courbe incroyablement svelte et raffinée de ce pied de vigne dont le jaune automnal s'harmonise si parfaitement à la couleur du mur, aux menuiseries bleutées et aux volets roux pourrait avoir été dessinée par un moine miniaturiste du Moyen Age. Ne dirait-on pas, d'ailleurs, une danse végétale allégorique dédiée au dieu de la vigne ? »
Pour un premier livre photographique, Denis Grozdanovitch nous impressionne. L'exactitude et la poésie de ces textes sont en parfaite harmonie avec la nostalgie, la beauté et la luminosité des ses photos. De plus les éditions Rouergue ont usé d'un format singulier qui sublime d'autant plus le travail de cet artiste. L’exactitude des songes « explorent les éblouissements passés er raniment l'enchantement des temps perdus ».
© Denis Grozdanovitch
Alexandra Lambrechts, le 6 janvier 2012.
Vignette : © Denis Grozdanovitch