Images En manœuvres Editions publient le dernier reportage de Joan Bardeletti qui nous plonge au cœur d'une Afrique qu'on ne connait pas, celle des classes moyennes. Entre aventure humaine et artistique, il décrit sous forme de portrait les classes moyennes en Afrique subsaharienne (Côte d'Ivoire, Mozambique, Kenya, Cameroun) et Afrique du nord (Tunisie, Maroc) ). Un sujet rare que le photographe français a lancé en 2008.
Durant 20 mois, il a photographié une dizaine de personnes représentant les multiples facettes de celles-ci « dans leur quotidien, s'intéressant à leurs lieux de loisir, de travail, leurs pratiques religieuses et aux événements politiques qu'elles rencontrent ».
© Joan Bardeletti
Les classe moyennes représentent aujourd'hui environ 200 millions d'Africains qui « s'éloignant de la précarité accèdent doucement à une certaine forme de prospérité ». Jeunes diplômés, cadres, entrepreneurs, lycéens, gérants, businessmen, tous s'efforcent de trouver leur place et gagner leur vie sur un continent en plein bouleversement. Au sein de leur quotidien, Joan Bardeletti s’immisce dans leur intimité pour dresser un portrait de cette nouvelle classe importante. Associant photographie d'auteur et travail de recherche sociologique, le photographe « apporte un regard neuf sur une population encore méconnue de l'Afrique, mais d'un poids crucial pour son avenir ».
© Joan Bardeletti
« L'expression « classe moyenne » (middle class en anglais) peut sembler vague, ce qui explique son usage scientifique limité – les Anglais ironisent même en la transformant en muddle class (muddle : confusion) -, elle possède pourtant un pouvoir évocateur considérable. La diversité des critères qu'elle englobe permet d'analyser des courants très contradictoires, » comme en témoigne le travail du photographe.
L'objectif de Joan Bardeletti est simple, « il s'agit de caractériser, plutôt que de définir, cette population mal connue. Sensibiliser le grand public et les chercheurs pour qu'ils se lancent dans des études plus approfondies. A terme, il s'agit aussi de façonner une autre image de l 'Afrique et valoriser les classes moyennes ». Un pari qui semble porter ses fruits, car le travail du photographe permet de comprendre avec plus de subtilité les caractéristiques de ces classes comparé à de simples statistiques. « Il y a un jeu d'aller-retour entre la recherche et la photographie. Nous modifions nos grilles en fonction de ce que nous voyons » indique Dominique Darbon, professeur de Science politique à l'Institut d'études politiques de Bordeaux.
Cette idée de reportage est survenue en 2006. Joan Bardeletti voulait dans un premier temps faire un simple reportage photo mais Marc Levy, ancien chef du bureau des politiques du développement et de la prospective au ministère français des Affaires étrangères, l'a convaincu d'entamer une enquête en profondeur. Pour réaliser son travail, Joan Bardeletti s'appuie sur des publications mises en ligne sur le site internet http://www.classesmoyennes-afrique.org/fr">www.classesmoyennes-afrique.org/fr.. Travaillant en équipe avec les chercheurs qui ont pour objectif d'identifier des personnes représentatives de la classe moyenne, Joan Bardeletti part à la rencontre de celles-ci, les interroge et capture des instants uniques de leur quotidien. « L'idée n'est pas d'affirmer qu'ils sont représentatifs, mais de donner une idée de la manière dont ils se perçoivent ».
© Joan Bardeletti
Portraits : comment cette classe moyenne se perçoit-elle ?
« Je me situe au milieu. Mais il y a un écart énorme entre ma famille et les riches. Un écart impossible à combler. Nous pouvons nous considérer comme des membres de la classe moyenne mais nous luttons. Nous luttons pour obtenir ce qu'il nous faut. Je suis heureuse de ce que j'ai réussi à accomplir. Si je regarde en arrière et me compare à mes amis, je pense que j'ai fait plus qu'eux ». (Sally)
« La classe moyenne, c'est la vie des combattants. Tout ce que j'ai obtenu jusqu'à maintenant, je ne l'ai eu qu'avec ma force de travail ». (Abouziane)
A travers 74 photos, une analyse complète de Dominique Darbon intitulée Révéler les invisibles : la recherche des classes moyennes en Afrique subsaharienne et une série de portraits, c'est avec brio que Joan Bardeletti a construit ce reportage. Le livre est clair, et les explications pertinentes. Plus qu'un simple reportage photographique, c'est une analyse, une enquête de fond qui éclaire à la fois les sociologues et les lecteurs sur une partie de la population africaine qui lutte chaque jour pour gagner sa vie de façon correcte. Joan Bardeletti à remporté le deuxième prix du World Press Photo en 2010 dans la catégorie « vie quotidienne ».
Alexandra Lambrechts, le 29 novembre 2011.