
© Oleg Videnin
The Russians, documentaire de 52 minutes produit par Amadelio Film, compagnie spécialisée dans la présentation de photographes d’exception (Jock Sturges, Evgeny Mokhorev…), retrace l’œuvre photographique d’Olag Videnin. Le réalisateur et photographe Christian Klinger, en partenariat avec la rédactrice Daniela Krien, présentent un travail simple et poétique afin de mieux cerner l’approche de ce salarié de l’agence Magnum en Russie.
Olag Videnin, né en 1963 à Bryansk en Russie, est avant tout un spécialiste des portraits, travaillant essentiellement dans sa région natale. Dès le début du film, nous plongeons au coeur de la méthode du photographe; ce dernier choisit ses sujets au hasard. Ici ce sont des enfants : Il commence par les approcher, comme pour les apprivoiser, et tout en s'amusant de la situation, les met en scène avant de les immortaliser. Une démarque que l'on retrouve tout au long du documentaire, et qui conduit Videnin à partager des moments privilégiés avec ses sujets. Ainsi, lorsqu'une vieille femme ne peut s’empêcher de lui raconter sa vie lors d’une séance, ou qu'un jeune couple ne peut cacher sa timidité. On pourrait presque reprocher à Videnin d'être quelque fois un peu trop intrusif dans sa manière d'aborder les personnes. La voix off du photographe nous éclaire sur ce besoin de proximité : « Il est clair que le but de la photographie est avant tout documentaire, seulement il faut prendre en compte la subjectivité. (…) Ma photographie n’est, bien sûr, pas un simple document, parce je choisis les gens. (…) C’est donc beaucoup plus un constat de ma propre émotion qu’un document à propos d’une époque et de ses protagonistes ».
Ce processus si singulier nous est expliqué à travers deux interviews. Pour Evgeny Berezner, chercheur et conservateur au musée d’Etat Rosizo (Moscou), Oleg Videnin possède un style unique qui fait de lui un grand photographe de l’histoire de la Russie actuelle. Il évoque ainsi de vraies rencontres entre le photographe et le sujet photographié : « Ce n’est pas juste le photographe qui choisit, car en réalité, ce sont les gens qui se font photographier ; ils choisissent aussi le photographe ». Berezner insiste surtout sur les regards braqués sur l’appareil, comme dans un retour aux sources de la photographie. Il aborde aussi l'expression de la douleur dans les images de Videnin, qui d'après lui semble parfaitement exprimer l'âme de la Russie, dont les habitants sont aux prises avec un rude quotidien.
Pour Irina Tchmyreva, pofesseur de photographie et historienne de l’art à l’Université de Moscou, Videnin est avant tout un artiste qui s’ouvre sur la vie spirituelle de ses sujets, par le biais de ses choix qui traversent les catégories sociales. A propos de cette intelligence humaniste dont fait preuve le photographe dans sa démarche, elle témoigne « Je trouve miraculeux que l'on puisse réussir dans la société russe moderne, et au prix fort qu’il faut normalement payer pour accéder à cette réussite. » Tout comme Evgeny Berezner, l'historienne nous parle là aussi de l'âme du pays que Videnin tend à retranscrire dans ses photographies.
Par plans disparates au fil du documentaire, le photographe nous conduit dans son studio de travail où tout en travaillant, il décrit ses procédés. On peut bel et bien parler de création totalement personnelle, presque artisanale, et le matériel obsolète utilisé (par exemple lorsque Videnin développe ses clichés sous la douche) apparaît en contraste total avec le résultat, les images obtenues semblent parfaitement maîtrisées, notamment au niveau de la luminosité. On ne peut qu'esquisser un sourire lorsqu'on se rend compte qu'il retouche les contours de ses clichés à la peinture. Le coup de tampon à son nom derrière ses photographies vient finaliser le processus de création. Videnin insiste bien sur les histoires qu'il raconte, et l'exemple du cliché "Valentina in White" , montre qu'il peut s'agir d'anecdotes joyeuses comme tristes. Valentina a été prise alors que le photographe était en déplacement ; apercevant la petite fille en robe blanche seule sur le bord de la route, à des kilomètres du village le plus proche, il lui a demandé pourquoi elle n'était pas accompagnée. Ses parents l'avaient tout simplement oublié à un mariage la veille et elle s'était résolue à faire le chemin à pied pour rejoindre son domicile. L'incompréhension envahit le propos de Videnin lorsqu'il se remémore la fillette face caméra, et les remarques d'Evgeny Berezner et d'Irina Tchmyreva concernant l'expression de la douleur prennent tout leur sens.
Oleg Videnin est un photographe du mouvement, et cette idée structure le film comme un fil d'Ariane. Suivi par le caméraman qui met l'accent sur l'environnement dans lequel il évolue, un environnement particulièrement rural, le photographe se ballade au gré de ses envies. On finit sur une séquence à Bryansk lors du dernier jour d'école. Les adolescents envahissent les rues dans une énergie qui semble inhabituelle pour les vieillards aux yeux écarquillés que nous apercevons derrière le protagoniste. Les maquillages exubérants se mélangent aux tenues traditionnelles, et la musique pop livre bataille à l'accordéon vieillot. Videnin capte cette ambiance. Une grande douceur émane de ses clichés et le photographe s'efface pour laisser toute la place aux sentiments de ces russes qu'il immortalise.
Dans le cliché qui clôture ces 52 minutes, on l'observe se prendre en photo dans un miroir, probablement en compagnie de sa femme. Etrangement, on ne voit qu'elle : cette manière de se tenir en retrait et de laisser place à l'autre est probablement le secret de la beauté envoûtante qui ressort des portraits d'Oleg Videnin.
Lise Ménalque, le 4 novembre 2011
The Russians, A Film about Oleg Videnin
© 2011 Amadelio Film LTD.
Site internet du film : www.amadelio.org
Vignette et images : © Oleg Videnin/Amadelio Film