Les 2000 mairies françaises agréées pour la délivrance de photos d’identité destinées aux passeports biométriques nuisent crûment à la situation des professionnels de la photographie. Quelque 8500 emplois en France sont en danger, un chiffre alarmant.
Pour lutter contre l’usurpation d’identité et la falsification des documents, une directive européenne impose, en décembre 2004, que tous les pays européens soient capables de délivrer, sur leur territoire, à partir du 28 juin 2009, un passeport biométrique contenant les empreintes digitales et une photographie numérisées des citoyens. En 2006, les professionnels de la photographie entreprennent un travail important de consultation et de collaboration avec le Ministère de l’Intérieur afin de s’adapter aux différentes normes relatives aux photos d’identité. Quelle n’est donc pas leur stupeur d’apprendre bientôt que 2000 mairies, par un décret du 30 avril 2008, sont aptes à réaliser elles-mêmes les photos d’identité. Cette nouvelle réglementation laisse néanmoins le choix aux citoyens : ces derniers ont la possibilité d’être photographiés directement à la mairie et cela, gratuitement, ou ils peuvent apporter leurs propres photos d’identité, conçues à leurs frais. « Le soucis est que, souvent, les photographies apportées par les particuliers sont refusées dans les mairies car évaluées non conformes aux normes, après numérisation », explique Marc Heraud, Secrétaire Général de l’Association pour la Promotion de l’Image (API).
Service public discriminatoire
Outre la concurrence déloyale subie par les photographes vis-à-vis des mairies, « Cette pratique met en danger 8500 emploi en France. La prise de vue de photographies d’identité représente 25 à 30% du chiffre d’affaires de certains industriels et professionnels de la photographie », l’API blâme aussi le « service public discriminatoire » . Les mairies autorisées à réaliser les photographies rencontrent, en effet, de nombreux problèmes. « La photographie d’enfant, par exemple. Il n’est pas facile de photographier un enfant de neuf mois en le faisant tenir tout seul sur une chaise. Sans parler des personnes à la peau foncée prises dans de mauvaises conditions photographiques. Les mairies se trouvent parfois dans des situations complexes et en viennent à imposer des restrictions telles que celles de ne pas photographier les enfants en dessous de 16, de 10 ou de 4 ans ». Sans mentionner le fait que la prise de vue par les mairies engendre un alourdissement des charges sociales des collectivités, « car prendre des photos est un long travail pour les agents de la mairie, et c’est du travail en moins pour les photographes. Plus de charges publiques d’un côté, et diminution des emplois de l’autre », s’indigne M. Heraud.
Enlever les appareils photo des mairies
L’API a réussi à obtenir du gouvernement que les mairies puissent décider elles-mêmes de la prise de vue photographique, ou non, au sein de leur établissement. Parmi les 2000 mairies agrées, 900 ont choisi de s’abstenir de cette pratique, dont celles de grandes villes comme Lille, Montpellier ou Toulouse, par solidarité avec les photographes locaux, et pour l’équilibre de la ville.
Aussi, le Ministère de l’Intérieur a proposé une alternative au dispositif actuel, le développement d’un système de validation en ligne des photographies réalisées par les photographes ou en cabines automatiques. « Ce système peut être mis en place en six mois. L’association est prête à l’accepter à la seule condition que les mairies soient dénuées d’appareils photo », exprime M. Heraud.
La France est le seul pays européen à avoir instauré une machinerie administrative telle que décrite, équipant les mairies de stations biométriques et permettant à celles-ci de procéder elles-mêmes aux prises de vues photographiques, gratuitement. Aucun autre pays n’a pensé à mettre en place un système similaire, portant atteinte à l’économie photographique nationale. « Si on veut faire dans la démagogie, conclut M. Heraud, pourquoi ne pas rendre aussi gratuite la distribution d’électricité, de pain et d’autres ressources? ».
Angelika Zapszalka